À mon mariage, j’ai vu ma belle-mère glisser un comprimé dans ma coupe… alors j’ai inversé les verres

« Mais vous ne l’avez pas protégée, elle. »

Un silence.
Maître Gardel laissa sa phrase flotter, puis ajouta tranquillement :

« Votre belle-mère ne vous a jamais frappée, n’est-ce pas ? Elle ne vous a jamais menacée explicitement. Nous parlons de remarques désagréables, de tensions, de conflits de belle-famille, comme il en existe dans de nombreuses familles. Et vous, vous avez pris la décision de la laisser avaler un médicament dont vous pensiez qu’il vous était destiné. Certains pourraient y voir… une forme de vengeance. »

« Objection, » intervint maître Kaderi. « Nous ne sommes pas dans un procès de la partie civile. »

Le président hocha la tête.

« Maître Gardel, veillez à rester dans le cadre de la défense de votre cliente. »

« Bien sûr, monsieur le président. » Il se tourna vers moi. « Je pose simplement la question : au fond de vous, Madame Ashour, est-ce que vous n’avez pas voulu punir votre belle-mère ? »

Je le regardai droit dans les yeux.

« Au fond de moi, » dis-je, « j’ai voulu survivre. Et j’ai voulu qu’elle voie ce que ça faisait d’être piégée. Elle avait prévu de me ridiculiser devant tout le monde, de détruire mon mariage, ma réputation, ma carrière. C’est elle qui a pris ce chemin-là. Je n’ai fait que me pousser hors de la trajectoire. »

Il m’observa quelques secondes en silence, puis se rassit.

Mes jambes tremblaient toujours, mais je sentais quelque chose de solide en moi.
Une sorte de noyau dur qui refusait de se laisser écraser.


Julien fut ensuite appelé à la barre.

Je le regardai entrer, un peu plus pâle que d’habitude, mais droit.

« Monsieur Dubreuil, » dit le président, « que pouvez-vous nous dire de la relation entre votre mère et votre épouse ? »

Julien inspira profondément.

« Ma mère n’a jamais accepté Claire, » dit-il sans détour. « Elle ne l’a jamais insultée, mais c’était… constant. Des critiques, des sous-entendus sur le fait qu’elle venait d’un milieu modeste, qu’elle n’était “que” institutrice. Elle avait d’autres projets pour moi. »

« A-t-elle déjà tenté d’entraver votre relation ? »

« Oui. Elle organisait des dîners avec des filles qu’elle trouvait “plus adaptées”. Elle me faisait remarquer qu’avec Claire, je ne “profiterais pas du réseau” de la famille. Elle m’a dit plusieurs fois que j’étais jeune, que je pouvais encore changer d’avis. »

« Et pourtant, vous vous êtes mariés. »

« Oui. » Il me jeta un coup d’œil. « Parce que c’est elle que j’aime. Pas le projet que ma mère avait pour moi. »

« Comment expliquez-vous, alors, ce qui s’est passé ? » demanda le président.

Julien hésita, puis répondit d’une voix plus sourde.

« Je crois que ma mère a voulu prendre sa revanche. Elle savait qu’elle ne pouvait plus empêcher le mariage, alors elle a tenté de le gâcher. De montrer qu’elle gardait le contrôle. Elle n’a pas pensé aux conséquences. Ou elle s’en fichait. »

Patrick remua sur son banc, mais ne dit rien.

Maître Gardel tenta bien de pousser Julien dans ses retranchements, lui parlant de l’amour d’une mère, de la possibilité d’une « erreur », mais quelque chose avait changé.

Julien ne défendait plus sa mère.
Il racontait ce qu’il avait vécu, sans filtre.
On sentait, derrière sa tristesse, une colère contenue.


Après les témoins, le procureur présenta son réquisitoire.

« Cette affaire, » dit-il, « est exemplaire d’une violence qu’on ne veut pas voir : celle qui se cache derrière les façades parfaites, les belles maisons, les photos de famille impeccables. »

Il désigna Monique.

« Madame Dubreuil n’est pas une criminelle de roman. Elle n’est pas “monstrueuse” au sens habituel. Elle est respectable, intégrée, aimée dans son cercle. Et pourtant, elle a franchi une ligne rouge : celle qui consiste à manipuler le corps d’autrui, à vouloir altérer sa conscience, pour des raisons de contrôle et d’orgueil. »

Il laissa un silence.

« On ne met pas un sédatif dans le verre de quelqu’un “par accident”. On ne lit pas les cartons de noms “en étant confuse”. On ne se tait pas ensuite pendant toute la soirée, en laissant la personne boire. Ce n’est pas une maladresse. C’est un choix. »

Il demanda une peine de quatre ans de prison, dont une partie avec sursis, l’interdiction de me contacter pendant dix ans, une obligation d’indemnisation.

Maître Gardel plaida ensuite, longuement.

Il parla de la vie « irréprochable » de sa cliente, de son investissement dans des associations, de son « désarroi » ce soir-là, de sa honte.
Il insista sur mon échange de verres.

« Madame Ashour n’est pas en cause, bien sûr, » dit-il avec un ton qui voulait dire l’inverse. « Mais il faut aussi regarder son geste avec lucidité. Elle a pris la décision lourde de conséquences de laisser quelqu’un d’autre assumer les effets d’un médicament qu’elle croyait dangereux pour elle-même. Peut-on vraiment, dans ces conditions, parler d’une victime fragile et d’une bourreau tout-puissant ? Les choses sont plus nuancées. »

Il demanda la relaxe pour tentative d’empoisonnement, la reconnaissance au pire d’une « faute morale », mais pas d’une infraction pénale.

Je regardais Monique.

Pendant tout ce temps, elle avait gardé les yeux baissés, les épaules rentrées.

Je ne savais plus si je voyais ma belle-mère ou une inconnue.


Le tribunal se retira pour délibérer.

Nous sortîmes dans le hall, sous le regard des journalistes.
Maître Kaderi me conseilla de m’asseoir.

Julien faisait les cent pas.
Ma mère tenait mon sac comme si c’était un bouclier.

« Tu veux de l’eau ? » me demanda-t-elle.

« Non. Je veux que ce soit fini. »

Le temps sembla s’étirer, élastique.
Je ne savais pas si une heure avait passé ou dix minutes.

Quand on nous rappela dans la salle, j’avais les jambes en coton.

Monique se rassit sur le banc des prévenus, face aux juges.
Le président demanda le silence.

« Le tribunal, après en avoir délibéré, déclare Madame Monique Dubreuil coupable des faits qui lui sont reprochés. »

Les mots m’ont frappée physiquement, comme une gifle.

Coupable.

Ce n’était plus seulement ce que je savais.
C’était écrit, reconnu, acté.

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