« S’agissant de la peine, » poursuivit le président, « le tribunal tient compte de votre absence de casier, de votre investissement dans la vie associative, mais aussi de la gravité particulière des faits, commis dans le cadre familial, lors d’un événement supposé heureux, avec une volonté manifeste d’humilier votre belle-fille. »
Il marqua une pause.
« En répression, le tribunal vous condamne à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme aménageable sous forme de détention à domicile sous surveillance électronique, et deux ans avec sursis probatoire. Vous êtes également condamnée à indemniser Madame Ashour pour son préjudice moral et matériel. Enfin, il vous est interdit d’entrer en contact avec elle pendant dix ans. »
Le bruit des stylos, des chuchotements, des souffles coupés remplit la salle.
Monique porta une main à sa bouche.
Patrick posa sa main sur son épaule, sans un mot.
Thomas, lui, avait les yeux brillants de larmes.
Je ne ressentais pas la joie.
Plutôt… une forme d’épuisement.
Comme si mon corps lâchait après avoir tenu trop longtemps.
Julien se tourna vers moi.
« C’est fini, » murmura-t-il. « Claire, c’est fini. »
Je savais que ce n’était pas vrai.
Ce n’était pas « fini ».
Mais c’était une étape.
Une grande.
Les semaines qui suivirent le jugement furent encore plus étranges que les mois d’avant.
D’un côté, j’étais soulagée : la justice avait reconnu mon statut de victime.
Je pouvais enfin me dire, sans douter de moi : ce qu’elle a fait était réel, grave, et ce n’était pas de ma faute.
De l’autre, tout semblait brisé dans la famille Dubreuil.
Patrick lança une procédure de divorce presque aussitôt.
« Je ne peux pas rester marié avec une femme condamnée pour avoir tenté d’empoisonner ma belle-fille, » déclara-t-il à Julien, glacé. « J’ai une réputation, moi. »
Julien raccrocha sans répondre.
Thomas s’enfonça dans le silence.
Il nous appelait parfois tard le soir, la voix cassée.
« Je me sens coupable de ressentir de la colère contre elle, » disait-il. « C’est ma mère. J’ai pas le droit de… »
« Tu as le droit à tout ce que tu ressens, » répondait Julien. « C’est elle qui a créé cette situation, pas toi. »
Moi, je continuais mon congé, puis repris peu à peu le travail.
Au début, certains parents d’élèves me regardaient avec curiosité, d’autres avec compassion.
Une mère vint me voir un soir, à la sortie.
« Ma belle-mère ne m’a jamais droguée, » dit-elle d’emblée. « Mais elle aurait été capable de me faire passer pour folle si ça l’avait servie. Ce que vous avez vécu, c’est extrême, mais je… comprends. »
Elle n’en dit pas plus.
Ce regard-là, cette reconnaissance silencieuse, valait plus que tous les articles de journaux.
Julien et moi avons commencé une thérapie de couple.
Pas parce que nous étions sur le point de nous séparer, mais parce que nous ne voulions pas que tout ce chaos reste coincé entre nous comme une bombe à retardement.
La psychologue, une femme douce aux cheveux gris, nous reçut dans un petit cabinet lumineux.
« Vous avez vécu un traumatisme, tous les deux, » dit-elle dès la première séance. « Vous, Claire, en tant que cible directe. Vous, Julien, en tant que fils d’une femme qui a franchi cette limite. Si vous ne mettez pas des mots dessus, ça s’invitera dans toutes vos décisions futures, surtout dans votre façon d’être parents, si vous en avez le projet. »
« On veut des enfants, » dixit Julien. « Mais j’ai peur d’être comme elle. Trop exigeant, trop… contrôlant. »
« Le simple fait que cette peur vous traverse montre déjà que vous êtes ailleurs, » répondit la psy. « Ceux qui reproduisent le plus la violence sont souvent ceux qui refusent de la voir. Vous, vous la regardez en face. C’est un très bon début. »
Moi, j’ai parlé de ma peur irrationnelle des verres qu’on me tendait, des repas de famille, des fêtes.
De ma méfiance nouvelle envers tout ce qui ressemblait à une « belle image ».
« Je sais que tout le monde n’est pas comme Monique, » disais-je. « Mais dès que je vois une mère trop parfaite, trop lisse, je me méfie. »
« C’est compréhensible, » répondit la psy. « Vous avez appris à vos dépens que l’apparence ne dit rien de la sécurité. Il vous faudra du temps pour réapprendre à faire confiance à votre intuition sans qu’elle soit noyée par la peur. »
Pendant ce temps, la vie de Monique continuait… autrement.
Elle exécuta son année de prison à domicile avec bracelet électronique.
Pas de soirées mondaines, pas de galas, pas de réunions d’associations.
Juste un appartement en périphérie, des horaires stricts, des comptes à rendre.
Les journaux locaux se lassèrent au bout de quelques semaines.
On passa à d’autres scandales.
Elle finit par purger sa peine, entama ses deux ans de sursis probatoire, avec obligation de soins.
Je n’avais aucune envie de savoir où, ni comment.
La seule mention de son nom que je voulais garder était celle inscrite dans le jugement :
coupable.
Pourtant, même avec la condamnation, même avec la thérapie, même avec l’amour de Julien, quelque chose restait coincé.
Une nuit, plusieurs mois après le procès, je me suis réveillée en sursaut, le cœur affolé, les draps trempés de sueur.
J’avais rêvé que j’étais à nouveau devant la table d’honneur.
Cette fois, je n’avais pas vu la pilule tomber.
Je riais avec Sophie, quelqu’un m’appelait, la musique couvrait tout.
Puis, coupure.
Je me voyais sur la piste, en train de hurler, de rire, de déchirer ma robe.
Les invités me filmaient, Julien me regardait avec horreur, Monique, impeccable, secouait la tête avec un air navré.
Je me suis assise dans le lit, haletante.
Julien s’est réveillé à côté de moi.
« Encore un cauchemar ? » demanda-t-il doucement.
J’ai hoché la tête, incapable de parler.
Il passa un bras autour de moi, me rapprocha de lui.
« Tu sais, » murmura-t-il, « je crois que tu es la personne la plus courageuse que je connaisse. Tu as vu l’horreur en face, et tu as refusé de fermer les yeux. Tu as protégé ta vie. Et la mienne. »
Je laissai mes larmes couler en silence.
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