Une femme vieillissante, seule, qui avait tout perdu en voulant trop posséder.
À ma propre surprise, je n’ai pas senti la haine remonter.
Plutôt… une immense fatigue.
Et un peu de compassion, peut-être.
Pas pour ce qu’elle avait fait.
Pour ce qu’elle avait choisi de devenir.
« Je suis heureuse, » ai-je répondu calmement. « Malgré toi. »
Elle a hoché la tête, les larmes aux yeux.
« Je sais. C’est très bien. »
Je pris une inspiration.
« Je te pardonne, Monique. »
Ses yeux se sont agrandis.
« Vraiment ? »
« Je te pardonne, » ai-je répété. « Pas pour toi. Pour moi. Parce que je n’ai plus envie de porter ça. Parce que ma vie est pleine. Parce que tu n’as plus de pouvoir sur elle. Mais… »
Je plantai mon regard dans le sien.
« Le pardon ne veut pas dire que je veux te revoir. Ni que je te fais confiance. Je ne te ferai plus jamais confiance. Tu ne connaîtras pas mes enfants. Tu ne reviendras pas dans ma maison. Ça, c’est terminé. »
Elle hocha la tête, lentement.
« C’est plus que ce que je mérite, » murmura-t-elle. « Merci de me l’avoir dit. »
Elle essuya ses joues, recula d’un pas.
« Je te laisse. Bonne vie, Claire. Vraiment. »
Elle se tourna, poussa son chariot vers un autre rayon, sa silhouette se fondant parmi les clients anonymes.
Lucas me regardait, intrigué.
« C’était qui, la dame ? »
Je me suis penchée, ai caressé ses cheveux.
« Juste quelqu’un du passé, mon cœur. Quelqu’un qui ne compte plus. »
Et pour la première fois, c’était vrai.
Le soir, j’ai tout raconté à Julien.
Il est resté silencieux un long moment, puis a dit :
« Je ne sais pas si j’aurais été capable de lui dire que je lui pardonne. »
« Tu n’es pas obligé, » ai-je répondu. « Le pardon, ce n’est pas un devoir. C’est un choix. Et il peut être différent pour chacun. »
Il a hoché la tête.
« Tu crois que je devrais lui écrire ? Lui dire que j’ai entendu ce que tu m’as dit, que je lui souhaite d’être en paix, mais que je ne veux pas la revoir ? »
« Si ça t’aide à tourner la page, oui. Si c’est juste pour lui faire plaisir, non. »
Il a réfléchi.
La semaine suivante, il a envoyé une lettre courte.
Quelques phrases.
Pas d’insulte, pas d’effusion.
Juste la vérité :
qu’il avait choisi sa propre famille,
qu’il ne voulait plus revivre le passé,
qu’il espérait qu’elle trouverait un jour un peu de tranquillité,
mais que leur histoire s’arrêtait là.
Elle a répondu, paraît-il.
Je n’ai pas demandé à lire.
Les années ont continué de s’empiler, discrètes.
Anaïs est devenue une ado qui lit sous la couette jusqu’à minuit.
Lucas s’est mis au foot avec un sérieux impressionnant.
Parfois, au détour d’un repas, l’un d’eux posait une question :
« Papa, pourquoi on n’a pas de mamie de ton côté ? »
Julien et moi nous étions mis d’accord pour ne pas construire de légende, ni de mensonge.
« Parce que ma mère a fait quelque chose de très grave quand on s’est mariés, » répondait-il simplement. « Quelque chose qui nous a mis en danger, maman et moi. La justice est intervenue. On s’est protégés. Je l’ai aimée très longtemps et je l’aimerai toujours à ma façon, mais je ne peux plus lui faire confiance. »
« Elle est en prison ? » demandait Lucas, les yeux ronds.
« Elle y a été, » disait-il. « Elle n’y est plus. Mais elle est loin. Et c’est mieux pour tout le monde. »
Les enfants acquiesçaient, parfois avec d’autres questions, parfois pas.
Ils avaient le droit de savoir qu’on peut aimer quelqu’un et poser des limites.
Que la famille ne donne pas un blanc-seing pour faire n’importe quoi.
Pour nos vingt ans de mariage, mon père a ressorti son idée de fête.
« Cette fois, on le fait, » a-t-il décrété. « Et je ne veux aucune discussion. On loue une petite salle, on invite ceux qui vous ont accompagnés, on danse jusqu’à deux heures du matin, et s’il y a du champagne, je vérifie moi-même chaque bouteille. »
Julien et moi avons hésité, puis avons fini par dire oui.
Pas pour effacer le premier mariage.
On ne peut pas effacer ce qu’on a vécu.
Mais pour écrire autre chose à côté.
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