Tout mon corps s’est glacé.
Sophie parlait toujours, sans se rendre compte de rien.
« …et ton père qui pleurait comme un enfant, c’était trop mignon… »
« Attends, » ai-je coupé, la voix étranglée.
Je me suis dirigée vers la table d’honneur, chaque pas résonnant dans ma tête comme si je marchais sous l’eau.
Est-ce que j’avais vraiment vu ce que je croyais avoir vu ?
Est-ce que Monique était réellement capable de ça ?
Je savais que oui.
J’aurais pu crier.
Faire une scène.
L’accuser devant tout le monde.
Et si je me trompais ?
Et si c’était un simple comprimé de vitamine tombé par erreur ?
Une pastille pour elle qu’elle avait mis dans son verre ? Une incompréhension ?
Sauf que je l’avais vue lire les noms sur les petites cartes.
Je l’avais vue choisir exactement ma coupe.
Je l’avais vue se dépêcher de repartir, satisfaite.
Elle avait mis quelque chose dans mon verre.
Mais quoi ?
Un somnifère pour me rendre ridicule ?
Un médicament plus fort ?
Pire ?
Mes mains tremblaient quand je suis arrivée devant la table.
Les coupes étaient alignées, sages, dorées et innocentes.
Troisième en partant de la gauche.
La mienne.
Personne ne faisait attention à moi.
Le DJ lançait une petite musique de fond, les invités bavardaient, Julien riait avec un ami au fond de la salle.
J’avais quelques secondes.
Peut-être moins.
Ma main s’est tendue.
J’ai attrapé la troisième coupe en partant de la gauche – la mienne – puis me suis déplacée légèrement de l’autre côté, là où Monique devait se tenir pour porter son toast.
J’ai pris sa coupe et l’ai posée exactement à l’endroit où se trouvait la mienne.
Et j’ai posé la coupe trafiquée là où devait se tenir Monique.
Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’on pouvait le voir à travers ma robe.
Qu’est-ce que je faisais ?
C’était complètement fou.
« Mesdames et messieurs, veuillez regagner vos places, nous allons commencer les discours ! » annonça le DJ.
J’ai sursauté, failli renverser le champagne.
Je me suis éloignée de la table un peu trop vite, les jambes molles.
Sophie attrapa ma main.
« Allez, on se met en place, madame la mariée. »
Je me suis laissée guider jusqu’à ma chaise.
Julien s’est assis à côté de moi, rayonnant, et a serré ma main sous la table.
« Prête ? » demanda-t-il.
Je ne pouvais pas parler.
J’ai seulement hoché la tête.
Mon père a pris la parole en premier.
Une feuille tremblait dans ses mains.
Il a parlé de moi enfant, puis adolescente, puis femme. Il a parlé de ma gentillesse, de ma force, de sa fierté, et a ajouté, en se tournant vers Julien : « Prends soin d’elle, sinon c’est moi que tu auras sur le dos. »
Tout le monde a ri.
Moi, j’essayais de respirer normalement.
Ma mère a parlé ensuite, la voix tremblante, en parlant d’amour, de compromis, de tendresse au quotidien.
Je n’entendais plus que des bribes.
Mes yeux revenaient toujours sur la coupe posée devant la chaise vide de Monique.
Puis ce fut le tour du témoin de Julien, un ami d’enfance, qui raconta des anecdotes embarrassantes, fit rire toute la salle et termina en nous souhaitant « une vie pleine de petits déjeuners au lit et de grandes réconciliations après les disputes ».
Enfin, Monique se leva.
Elle était impeccable.
Robe claire, chignon parfait, sourire doux.
Sa coupe à la main.
« Merci à tous d’être là, » commença-t-elle d’une voix posée. « Aujourd’hui, nous ne célébrons pas seulement un mariage, mais la réunion de deux familles. »
Ma gorge s’est asséchée.
Je n’arrivais plus à avaler ma salive.
« Julien a toujours été mon trésor, » continua-t-elle. « Mon premier fils, mon garçon brillant, sensible, merveilleux. »
Elle posait sur lui un regard tellement tendre que, pendant un bref instant, j’ai douté.
Peut-être qu’elle m’aimait, à sa façon.
Peut-être que je m’étais trompée.
Puis ses yeux se sont tournés vers moi.
Et là, je l’ai revu, ce petit éclat dur, calculateur.
« Claire, » dit-elle, en prononçant mon prénom avec une douceur forcée. « Bienvenue dans notre famille. J’espère que tu seras… très heureuse. »
La pause avant « très heureuse » n’avait rien d’innocent.
Elle leva sa coupe.
« Aux mariés ! »
« Aux mariés ! » reprit la salle en chœur.
Je levai mon verre, les mains tremblantes.
Julien leva le sien, rayonnant.
Monique porta la coupe à ses lèvres et but de longs gorgées.
Je la regardais fixement, incapable de détourner les yeux.
Une fois, deux fois, elle avala.
Elle reposa le verre avec ce même sourire satisfait.
Rien ne se passa.
Un instant, j’ai cru que je m’étais trompée.
Que ce n’était qu’un médicament sans effet.
Que peut-être je devenais paranoïaque.
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