Julien se tourna vers moi, le visage défait, complètement perdu.
Nos regards se croisèrent dans ce désastre de crème, de fleurs brisées, de chaises renversées.
Je me suis levée, les jambes en coton.
Qu’est-ce que j’avais fait ?
Les pompiers sont arrivés en quelques minutes.
Ils ont mis Monique sur un brancard, lui ont posé un masque à oxygène, ont vérifié ses constantes sous le regard choqué de tout le monde.
Patrick monta avec elle dans l’ambulance.
Julien resta planté au milieu de la salle, couvert de crème, les mains encore tremblantes.
Je me suis approchée.
« Julien… »
Il a tourné la tête vers moi, les yeux rouges.
« Je ne comprends pas, » murmura-t-il. « Elle boit à peine. Je ne l’ai jamais vue comme ça. »
« On devrait aller à l’hôpital, » ai-je dit doucement.
Il hocha la tête, comme un automate.
Notre réception était terminée.
Les invités commençaient déjà à quitter la salle, certains encore sous le choc, d’autres avec ce regard excité de ceux qui savent qu’ils viennent d’assister à une scène « qu’on racontera longtemps ».
Je voyais déjà les vidéos partir sur les réseaux sociaux.
Ma journée parfaite s’était transformée en cauchemar.
Sauf que ce cauchemar n’était pas le mien.
C’était celui de Monique.
Et une petite voix, tout au fond de moi, murmurait : Elle l’a cherché.
Elle a bu ce qu’elle avait prévu pour toi.
Mais en voyant Julien trembler, les yeux embués, j’ai ressenti quelque chose d’autre.
La peur.
Et si je venais de commettre la plus grande erreur de ma vie ?
La salle d’attente de l’hôpital sentait le désinfectant et le café brûlé.
Je m’y suis retrouvée assise entre Julien et ma mère, toujours en robe de mariée, la dentelle froissée, les cheveux défaits.
Mon père faisait les cent pas.
Lucie était partie récupérer des vêtements de rechange pour moi.
Julien n’avait presque pas parlé depuis notre arrivée.
Il était assis, penché en avant, la tête dans les mains, toujours en costume taché de crème.
Thomas, en face de nous, semblait soudain beaucoup plus jeune, les traits tirés, les yeux fixés sur le sol.
Patrick était derrière les portes battantes, quelque part avec les médecins.
Nous, nous n’avions plus qu’à attendre.
Et à ruminer.
Je repassais la scène en boucle : la main de Monique au-dessus de ma coupe, la pilule blanche, ma décision de permuter les verres.
Je devrais lui dire.
À Julien. Aux médecins. À quelqu’un.
Mais chaque fois que je commençais à ouvrir la bouche, la peur me coupait le souffle.
Et s’il ne me croyait pas ?
Et s’il pensait que j’inventais tout ça pour me dédouaner ?
Et si, en voulant me protéger, j’avais en réalité provoqué quelque chose de bien pire ?
« Famille de Madame Monique Dubreuil ? » appela soudain un médecin en blouse blanche en entrant dans la salle.
Nous nous sommes tous levés d’un bond.
Patrick, apparu comme par magie de derrière les portes, se précipita vers lui.
« Comment va-t-elle ? »
Le médecin nous regarda un par un, le visage sérieux.
« Elle est stable pour l’instant, mais nous devons vous poser quelques questions. Est-ce qu’elle a pris des médicaments aujourd’hui ? Quelque chose d’inhabituel ? »
Patrick secoua la tête.
« Non. Elle ne prend presque rien, à part quelques vitamines. »
« Elle boit de l’alcool régulièrement ? »
« Presque jamais. Un verre de vin de temps en temps. »
Le médecin nota quelque chose sur son dossier.
« Nous avons fait des analyses. Elle a une quantité importante de diazépam dans le sang. »
« De quoi ? » demanda Julien.
« D’un anxiolytique, un sédatif. C’est un médicament pour l’anxiété, normalement donné sur ordonnance. Elle en a absorbé une dose assez forte pour provoquer les troubles du comportement que vous avez décrits. Est-ce qu’elle a une prescription ? »
« Non, » répondit Patrick d’une voix catégorique. « Jamais. Elle déteste les médicaments. »
« Pourtant, les résultats sont clairs, » répondit calmement le médecin. « Elle n’a pas avalé ça par erreur, vu la dose. »
Julien déglutit.
« Est-ce que quelqu’un a pu lui mettre ça dans son verre ? » demanda-t-il à mi-voix.
Mon cœur s’est arrêté.
Le médecin le fixa.
« C’est une possibilité. Est-ce que vous avez une raison de penser que quelqu’un voudrait lui faire du mal ? »
Silence.
On aurait entendu une mouche voler.
« Non, » dit Patrick aussitôt. « Bien sûr que non. C’est ridicule. »
Mais Julien se tourna vers moi.
Pour la première fois depuis le début de la soirée, il me regarda vraiment.
« Claire, » dit-il lentement. « Tu étais près de la table d’honneur avant les discours. Est-ce que tu as vu quelqu’un s’approcher des coupes ? »
Toute la salle d’attente semblait se resserrer.
C’était le moment.
Soit je disais la vérité.
Soit je me taisais à jamais.
« En fait… » commençai-je, la voix tremblante. « J’ai vu Monique, près de ma coupe. »
Les mots tombèrent comme une pierre au milieu d’un lac.
Patrick se retourna si brusquement que son visage en devint presque méconnaissable.
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