« Qu’est-ce que tu insinues ? »
Je sentis ma mère se raidir à côté de moi, mais elle ne dit rien.
« Je n’insinue rien, » ai-je répondu en essayant de garder ma voix calme. « Je dis ce que j’ai vu. Avant les discours, Monique était seule devant la table d’honneur. Sa main était au-dessus de ma coupe. Elle a laissé tomber quelque chose dedans. Un comprimé blanc. Puis elle est partie. »
Julien blêmit.
« Tu es en train de dire que ma mère s’est droguée elle-même ? C’est absurde, » cracha Patrick. « Tu as mal vu, ou tu interprètes n’importe comment. »
Les mains moites, j’ai serré les poings.
« Je ne crois pas qu’elle voulait se droguer elle-même, » dis-je doucement. « Elle voulait me droguer. Et j’ai échangé les verres. »
Le silence qui suivit fut total.
« Tu as… quoi ? » demanda Julien, la voix rauque.
« J’ai vu quelque chose tomber dans ma coupe. Je ne savais pas ce que c’était, mais je savais que ça ne devait pas être là. Alors j’ai pris ma coupe et je l’ai mise à la place de celle de ta mère. Et j’ai mis sa coupe à ma place. Elle a bu dans la mienne. Moi, j’ai bu dans la sienne. »
« C’est n’importe quoi ! » s’emporta Patrick. « Monique n’aurait jamais fait ça. Tu es en train d’accuser ma femme pour justifier ton geste irresponsable ! »
« Elle ne m’a jamais supportée, » ai-je répondu, la voix plus ferme malgré la peur. « Elle a tout fait pour saboter le mariage depuis le début. C’était sa façon de me ridiculiser, de gâcher notre jour. »
« En me droguant ?! » explosa Julien. « Tu es en train de me dire que ma mère a essayé de t’empoisonner à ton propre mariage ? »
« Oui, » ai-je dit, parce que c’était la seule vérité que je pouvais supporter.
Julien recula d’un pas, comme si je l’avais giflé.
« Tu as vu ma mère près de la table et tu en conclus ça ? » Sa voix était froide. « Tu as pris la décision d’échanger les verres, Claire. Tu as sciemment laissé ma mère boire quelque chose que tu pensais dangereux. Et tu oses dire que tu n’y es pour rien ? »
« Elle avait l’intention de me le faire boire, » ai-je répondu, la voix montant malgré moi. « Je me suis protégée. »
« Je ne veux plus entendre ça, » coupa Patrick. « C’est une honte. Tu inventes une histoire pour te dédouaner. »
Le médecin, mal à l’aise, toussota discrètement.
« Écoutez, » dit-il. « Je vous conseille de signaler tout ça à la police. Une suspicion d’empoisonnement, même involontaire, doit être prise au sérieux. »
La police.
Le mot est tombé entre nous comme une lame.
« Ce ne sera pas nécessaire, » répliqua Patrick aussitôt. « Il y a forcément une autre explication. »
Mais Julien me regardait encore, avec quelque chose dans les yeux que je n’avais jamais vu.
Le doute.
« Est-ce que c’est vraiment ce qui s’est passé ? » demanda-t-il d’une voix brisée. « Claire, je t’en prie, dis-moi la vérité. »
Je sentais les larmes me monter aux yeux.
« Je te dis la vérité, » ai-je murmuré. « Je l’ai vue mettre ce comprimé dans ma coupe. J’ai échangé les verres. Si je ne l’avais pas fait, c’est moi qui serais à l’hôpital. »
Il détourna le regard.
« J’ai besoin de réfléchir. Je… je ne peux pas gérer ça maintenant. »
Sans un mot de plus, il fit quelques pas en arrière, puis s’éloigna dans le couloir de l’hôpital, me laissant là, dans ma robe de mariée froissée, au milieu d’une famille qui me regardait comme si j’étais devenue l’ennemie.
Je n’ai presque pas fermé l’œil cette nuit-là.
Sophie m’a ramenée dans mon petit appartement, celui que j’étais censée quitter quelques jours plus tard pour emménager avec Julien.
Je me suis retrouvée assise sur mon canapé, en jogging, un vieux tee-shirt de Julien sur les épaules, le maquillage coulé, les yeux fixés sur mon téléphone.
Les vidéos de la soirée commençaient déjà à tourner.
« La belle-mère du marié pète les plombs pendant le mariage », titrait déjà une page de potins.
Les vues grimpaient à une vitesse vertigineuse.
On y voyait Monique sur la piste de danse, puis en train de ravager notre gâteau, les invités choqués, les rires, les cris.
Les commentaires se succédaient : certains trouvaient ça « hilarant », d’autres parlaient d’alcool, d’autres encore évoquaient « sûrement un problème psy ».
Personne ne parlait de ce que j’avais vu.
Personne ne savait ce qui était tombé dans ma coupe.
Julien ne m’avait ni appelée, ni envoyé de message.
Rien.
Sophie passa un bras autour de moi.
« Il finira par se calmer, » dit-elle doucement. « Quand il aura réfléchi, il verra bien que tu dis la vérité. »
« Et s’il ne me croit jamais ? » ma voix se brisa. « Et si pour lui je reste à jamais la femme qui a laissé sa mère se droguer ? »
Sophie hésita.
« Claire… tu es sûre de ce que tu as vu ? C’était une journée stressante, tu étais fatiguée, il y avait du monde, de la musique… et si ton cerveau avait… »
« Je ne suis pas folle, » ai-je coupé en la regardant droit dans les yeux. « Je sais ce que j’ai vu. Elle a mis quelque chose dans mon verre. »
Sophie serra ma main.
« Alors on va s’accrocher à ça. À la vérité. »
Le lendemain matin, à huit heures, on a sonné à ma porte.
Je pensais que c’était Sophie, ou peut-être ma mère.
C’était une femme d’une quarantaine d’années, en tailleur sombre, cheveux bruns attachés en queue de cheval, regard vif.
Elle a sorti une carte.
« Bonjour, Madame… Ashour ? » demanda-t-elle en hésitant sur mon nouveau nom.
« Ashour… oui, » balbutiai-je. « Enfin, normalement. »
« Capitaine Leclerc, brigade de sûreté urbaine, » dit-elle. « Nous enquêtons sur ce qui s’est passé hier soir au domaine de Saint-Romain. J’aurais besoin de vous poser quelques questions. »
Mon ventre s’est noué.
La police, avait dit le médecin.
Apparemment, l’enfer ne faisait que commencer.
La capitaine Leclerc s’est installée à ma table de cuisine comme si c’était chez elle, a sorti un carnet, un stylo, et m’a regardée droit dans les yeux.
« Je vais vous poser des questions, Madame Ashour, » dit-elle calmement. « J’ai besoin que vous soyez précise. Ce que vous me dites peut avoir des conséquences pénales très sérieuses. Pour tout le monde. »
Je me suis assise en face d’elle, les mains autour d’une tasse de café que je n’avais aucune intention de boire.
« D’accord. »
« Vous avez déclaré à l’hôpital que votre belle-mère avait mis quelque chose dans votre verre. Reprenez depuis le début. Le moment où vous l’avez vue à la table d’honneur. Détaillez tout. »
Alors j’ai raconté.
La salle, la musique, la voix du DJ, le moment où j’ai vu le dos de Monique, sa main qui se tend, le comprimé blanc, les coups d’œil autour d’elle, la manière dont elle s’est éloignée.
Puis ma panique, mon geste, le changement de verres.
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