Leclerc notait tout, sans m’interrompre, à part pour demander parfois :
« À quelle distance étiez-vous ? »
« Vous avez bien vu un comprimé, pas autre chose ? »
« Elle a lu les petits cartons de noms avant, vous en êtes sûre ? »
Je répondais, phrase après phrase, en essayant de rester factuelle, même quand ma gorge se serrait.
Quand j’eus terminé, elle releva la tête.
« Vous aviez déjà eu des différends avec votre belle-mère ? »
Je me suis presque mise à rire.
Un rire nerveux, qui ne sortit finalement pas.
« Elle ne m’a jamais dit clairement qu’elle me détestait, » répondis-je. « Mais elle ne m’a jamais acceptée non plus. Tout ce qui me concerne est “pas assez”. Je ne viens pas du bon milieu, je n’ai pas le bon métier, ma famille n’est pas assez… brillante. Elle voulait autre chose pour Julien. »
« Elle vous l’a dit ? »
« Pas avec ces mots-là. Plutôt des remarques, des silences, des changements de sujet. Elle m’a fait comprendre que, pour elle, je n’étais pas à la hauteur. »
Leclerc hocha la tête.
« Elle a essayé d’empêcher le mariage ? »
« Pas officiellement. Mais elle a tout critiqué. La salle, la robe, la liste des invités. Elle voulait tout contrôler. Quand j’ai refusé, elle m’a souri en disant “Fais comme tu veux”, mais on sentait bien que ça bouillonnait derrière. »
La policière griffonna quelques mots.
« Est-ce qu’elle vous a déjà menacée ? Même à demi-mot ? »
« Non. Jamais frontalement. Ce n’est pas son style. Elle préfère les piques qu’on ne peut pas lui reprocher. »
Elle se pencha en avant.
« Madame Ashour, accuser quelqu’un de tentative d’empoisonnement, c’est extrêmement grave. Vous en êtes consciente ? »
« Oui. »
« Si vous inventez, ou exagérez, vous vous exposez à des poursuites pour dénonciation calomnieuse. »
Je l’ai regardée droit dans les yeux.
« Je n’invente rien. J’aurais voulu. Mais je sais ce que j’ai vu. »
Elle me soutint le regard quelques secondes, puis se redressa.
« Le domaine où a eu lieu la réception dispose de caméras de surveillance. Dans la salle, à l’entrée, près du bar. Je vais requérir les enregistrements. S’ils confirment ce que vous dites, ce sera une pièce majeure. S’ils ne confirment pas… » Elle haussa légèrement les épaules. « On avisera. »
Le sang me quitta presque le visage.
« Il y a… des caméras ? »
« Bien sûr. Beaucoup de lieux recevant du public en ont désormais. Ne vous inquiétez pas : les images diront ce qu’il y a à dire. »
Elle rangea son carnet, puis hésita.
« Une dernière chose : votre mari. Il vous croit ? »
Une boule se forma dans ma gorge.
« Je ne sais pas, » admis-je. « Pour l’instant, il ne sait plus qui croire. »
Elle eut un petit soupir, ni compatissant ni froid. Juste… réaliste.
« Ce genre d’affaire déchire les familles, Madame Ashour. Mais si ce que vous racontez est vrai, vous avez bien fait de parler. On vous recontactera. »
Et elle est partie, me laissant seule dans ma cuisine, avec l’écho de ses mots.
Les caméras diront la vérité.
Julien m’a appelée plus tard dans la journée.
Son nom s’est affiché sur l’écran et mon cœur a raté un battement.
« Allô ? »
Sa voix était méconnaissable. Fatiguée, lasse.
« Les flics sont venus à l’hôpital, » dit-il sans préambule. « Ils ont interrogé ma mère. »
« Et… ? »
« Elle nie tout. Elle dit qu’elle n’a rien mis dans ton verre, qu’elle ne sait pas comment ce truc s’est retrouvé dans son sang. Elle a fondu en larmes, elle répétait qu’on lui en voulait, que tout le monde se liguait contre elle. »
Je sentis ma mâchoire se serrer.
« Évidemment qu’elle nie. »
« Claire… c’est ma mère. Je la connais depuis toujours. Je n’arrive pas à imaginer qu’elle ait pu faire ça. »
« Et moi ? Tu me connais depuis trois ans. Tu crois que je suis capable d’inventer un truc pareil ? »
Un silence lourd.
« Je ne sais plus, » lâcha-t-il enfin. « J’ai la tête en vrac. »
Ça piqua plus fort que je ne voulais l’admettre.
« Je ne suis pas manipulatrice, Julien. Je ne suis pas en train de monter un plan contre ta famille. J’ai vu ce que j’ai vu. »
« La capitaine Leclerc m’a parlé des caméras, » dit-il d’une voix éteinte. « Elle va récupérer les vidéos de la salle. On verra bien. »
« Donc tu attends que des caméras te disent si tu dois croire ta femme ou ta mère ? »
« Je n’ai plus confiance en mes propres yeux, » répondit-il. « Je t’ai vue changer les verres, Claire. Tu l’as avoué devant tout le monde. Tu comprends que, pour moi, c’est… »
J’ai fermé les yeux.
« Tu es où ? » demandai-je doucement.
« Chez Mathieu, » répondit-il après une brève hésitation. « J’ai besoin de prendre du recul. De réfléchir. »
Chez un ami.
Pas chez moi.
Pas avec moi.
« D’accord, » ai-je murmuré. « Prends le temps qu’il te faut. »
J’ai raccroché avant que ma voix ne casse.
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