Personne n’avait de réponse.
Quand nous sommes sortis du commissariat, le ciel était lourd, gris, bas.
Ma mère est allée chercher la voiture.
Je me suis retrouvée seule quelques secondes sur le trottoir avec Julien.
Il avait les yeux rouges, comme s’il avait pleuré ou allait le faire.
« Tu le savais déjà ? » demanda-t-il d’une voix étranglée. « Tu étais sûre qu’on verrait ça ? »
« Non, » ai-je répondu honnêtement. « J’espérais. J’avais peur aussi. Mais je ne pouvais plus tourner en rond, Julien. Je devenais folle à garder ça pour moi. »
Il m’a fixé, longtemps.
Ses lèvres tremblaient.
« Je t’ai accusée, » dit-il. « Je t’ai presque traitée de menteuse. »
Une douleur sourde traversa ma poitrine.
« Tu étais sous le choc, » murmurai-je. « Et c’est ta mère. Je comprends. »
« Non, » répondit-il fermement. « Ce n’est pas une excuse. J’aurais dû te croire. J’aurais dû au moins te laisser le bénéfice du doute. Au lieu de quoi, j’ai fait ma valise et je suis allé me planquer chez un pote comme un gamin. »
Il fit un pas vers moi.
« Claire, je suis désolé. Tellement désolé. »
Je sentis mes yeux se remplir à nouveau.
« Je… » Il inspira profondément. « Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour comprendre comment ma mère a pu faire ça. Mais je sais deux choses : un, tu n’as pas mérité ce qu’elle t’a fait. Et deux, je suis du mauvais côté si je te laisse seule là-dedans. »
Sa voix se brisa.
« Est-ce que tu me laisses revenir ? Pas comme si de rien n’était, je sais que c’est impossible, mais… chez nous ? »
J’ai inspiré lentement, essayé de penser, mais mon cœur avait déjà choisi.
« Oui, » ai-je murmuré. « Mais cette fois, on sera du même côté. Pas toi avec ta famille, moi avec la mienne. Nous deux. Ensemble. »
Ses yeux se remplirent de larmes.
Il m’a prise dans ses bras, comme au sortir de la mairie, mais avec une gravité nouvelle.
Je sentais son torse trembler contre moi.
« On va en baver, » dit-il contre mes cheveux. « Mon père va se battre, l’avocat va nous traîner dans la boue, ma mère va jurer qu’elle n’a pas voulu ça. Mais je ne te lâcherai plus, Claire. Je te le promets. »
Pour la première fois depuis le mariage, je me suis autorisée à y croire.
Juste un tout petit peu.
Le soir même, les journaux en ligne commencèrent à changer de ton.
Des « sources proches de l’enquête » évoquaient désormais la présence « d’images vidéo montrant clairement la belle-mère déposer une substance dans le verre de la mariée ».
On parlait de « diazépam », de « sédatif puissant », de « tentative de sabotage ».
Un site local titra :
Une belle-mère mise en cause pour avoir drogué la mariée : la justice saisie.
Le visage de Monique, tiré d’une photo souriante lors d’un gala de charité, s’affichait partout.
Moi, on me montrait floue, de dos, en robe blanche.
« La jeune institutrice, victime présumée, n’a pas souhaité s’exprimer », disait-on.
Pour l’instant.
Je savais que ce n’était que le début.
Le parquet allait ouvrir une procédure, l’avocat de Monique allait hurler à l’erreur judiciaire, les plateaux télé allaient débattre de « la pression des belles-mères » et de « la violence au sein des familles ».
Mais ce soir-là, dans notre petit salon, alors que Julien posait timidement sa valise à côté du canapé, je n’ai pensé qu’à une chose :
Je n’étais plus folle.
Je n’étais plus seule avec mon secret.
Les caméras avaient parlé.
Et la vérité, enfin, était de notre côté.
Le dossier a avancé plus vite que je ne l’aurais cru.
Deux semaines après le visionnage des vidéos au commissariat, j’ai reçu un courrier recommandé :
« Convocation devant le juge d’instruction – constitution de partie civile. »
Monique, elle, venait d’être mise en examen pour tentative d’empoisonnement et violences aggravées.
Remise en liberté sous contrôle judiciaire, avec interdiction de me contacter, obligation de remettre son passeport, contrôle régulier.
Je relisais les mots encore et encore, assise à ma table de cuisine, comme si c’était l’histoire de quelqu’un d’autre.
Julien arriva derrière moi, posa ses mains sur mes épaules.
« On y est, » murmura-t-il. « C’est réel. Ce n’est plus juste… une soirée qui a mal tourné. »
J’ai hoché la tête sans réussir à répondre.
Le juge d’instruction, un homme sec avec des lunettes discrètes, nous reçut dans un bureau austère.
À ma gauche, mon avocat, maître Kaderi, une femme calme qui inspirait confiance.
En face, le juge, un greffier.
Monique n’était pas convoquée ce jour-là.
« Madame Ashour, » dit le juge, « je vais vous poser des questions qui reprendront en partie ce que vous avez déjà dit à la police. Je vous demande de rester aussi précise que possible. »
J’avais l’impression de revivre la même scène, encore et encore :
raconter le regard de Monique, le comprimé, la coupe, l’échange, la honte, la peur.
La seule différence, c’était que cette fois, j’avais quelqu’un à mes côtés pour m’appuyer.
Quand ma voix tremblait, maître Kaderi intervenait pour reformuler, demander qu’on lise un passage du rapport, replacer les choses dans leur contexte.
Le juge finit par refermer son dossier.
« Très bien, » dit-il. « Compte tenu des éléments matériels, de la vidéo, des analyses, des témoignages, il est probable que ce dossier soit renvoyé devant le tribunal correctionnel. Vous serez alors appelée à témoigner. Vous maintenez votre souhait de vous constituer partie civile ? »
Je sentis le regard de Julien sur moi.
« Oui, » répondis-je. « Je veux que ce qu’elle a fait soit reconnu. Et je veux qu’on me rende ma vie. »
Le juge hocha la tête, sans commentaire.
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