Une semaine plus tard, j’ai surpris ma mère murmurer à une cousine que « Madame la doctoresse » ne savait plus quoi faire de son argent, sauf refuser d’aider sa propre famille.
Apparemment, je « bloquais le destin » de Léa, comme j’avais toujours « écrasé » Marion avec mes bonnes notes.
Je n’ai pas répondu.
Je me suis juste dit : « Non, cette fois, ce sera non. Et ce sera définitif. »
C’était trois semaines avant Noël.
Zoé, elle, était impatiente.
Elle se sentait « grande » : première fois qu’on la laissait faire la route seule pour le réveillon chez ses grands-parents.
Elle avait préparé son sac la veille.
Elle avait emballé de petits cadeaux pour les cousins, choisi soigneusement un livre pour Papy, une écharpe pour Mamie.
« Tu me feras un message quand tu seras arrivée », lui ai-je répété.
Elle a roulé prudemment, m’a envoyé un SMS : « Bien arrivée. Tout va bien. »
Eh bien non.
Rien n’allait.
Des heures plus tard, je poussais la porte de notre appartement et je la trouvais, elle, recroquevillée sur le canapé avec ce sourire tremblant qui veut dire : « s’il te plaît, fais semblant que ce n’est pas grave. »
Elle m’a expliqué que Mamie avait lâché, presque gênée : « on n’a plus de place à table ni de couchage ».
Qu’elle avait quand même eu le temps de compter discrètement les chaises : vingt-huit personnes assises. Plus un voisin « qui passait par là ».
Un problème de maths avec un seul élément en trop.
Ma fille.
Je l’ai prise dans mes bras. Je l’ai écoutée.
J’ai laissé ses mots tourner dans ma tête, cogner contre dix, vingt, trente souvenirs de petites humiliations que j’avais encaissées en silence.
Et j’ai compris, dans cette cuisine où refroidissait un bout de pain grillé, que quelque chose venait de se briser pour de bon.
Pas ma patience.
Ma loyauté aveugle.
Ils n’avaient pas manqué de place.
Ils avaient manqué de gratitude. Et ils avaient utilisé ma fille pour me le faire payer.
Le lendemain, pendant que Zoé traînait en pyjama en regardant un film de Noël, j’ai pris mon ordinateur.
Je n’ai pas écrit un long message plein de reproches.
Juste quelques faits, secs, alignés comme des diagnostics.
Je rappelais que la maison était à mon nom.
Que j’en payais le crédit depuis sept ans.
Que j’assumais la plupart de leurs factures, souvent sans qu’ils aient à demander.
Et que, malgré ça, ma fille avait été renvoyée chez elle la nuit de Noël faute de « place ».
Qu’à partir de ce jour, je ne souhaitais plus financer le confort de gens capables de faire ça à une adolescente.
Je terminais ainsi :
« Vous pouvez rester dans la maison encore soixante jours, le temps de vous organiser.
Passé ce délai, je mettrai le bien en vente.
Je ne vous dois plus le luxe acquitté sur le dos de ma fille. »
Je l’ai imprimée, signée, mise dans une enveloppe.
Puis j’ai attendu le bon moment.
Le matin du 26 décembre, la ville semblait encore engourdie par le foie gras et les chocolats.
On a pris la voiture, mon mari et moi, sans beaucoup parler. Sa main sur mon genou disait plus que n’importe quel long discours.
J’espérais presque qu’ils ne soient pas là.
Mais il y avait toujours deux voitures en plus dans l’allée. Marion, et sûrement un cousin resté pour finir les restes de dinde.
J’ai sonné.
Rien.
J’ai resonné.
Toujours rien.
« Laisse la lettre et on s’en va », a murmuré Sébastien.
J’ai calé l’enveloppe bien en évidence, coincée dans le cadre de la porte pour qu’elle ne tombe pas.
Nous étions presque arrivés à la voiture quand j’ai entendu le grincement de la porte d’entrée.
Je me suis retournée.
Ma mère était là, en robe de chambre pelucheuse, celle dont elle se vantait toujours en disant qu’elle l’avait eue « à -80 % ».
Elle a ramassé l’enveloppe, l’a ouverte, a commencé à lire.
Son visage est devenu blanc, puis rouge.
Et elle a hurlé :
« Gérard ! Descends tout de suite ! Elle nous met à la porte ! »
Mon père est apparu derrière elle, en chemise froissée de la veille.
Marion a suivi, un mug à la main, dans son pyjama de Noël.
« C’est quoi encore ce cirque ? » a grogné mon père.
Ma mère a levé la feuille comme un drapeau de guerre, m’a pointée du doigt comme si j’étais un chat errant ayant renversé ses poubelles.
« Espèce d’ingrate ! Comment tu peux nous faire ça après tout ce qu’on a fait pour toi ! »
Nous étions déjà dans la voiture quand mon téléphone a commencé à vibrer.
J’ai laissé sonner. Une fois, deux fois, six fois.
La septième, j’ai décroché.
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