Elle posa les mains à plat sur la table.
— Ce temps-là est terminé.
Thomas se pencha en avant, les mâchoires serrées.
— Et qu’est-ce que tu attends de nous, alors ? Un merci ?
— Non, répondit Hélène. Je n’attends plus rien.
Elle marqua une courte pause.
— Mais je vous offre deux possibilités.
Les regards se tournèrent vers elle.
— Première possibilité : vous faites vos valises, vous partez, et vous gérez vos problèmes comme des adultes. Sans mon argent, sans ma maison.
Camille déglutit. Thomas serra les dents.
— Deuxième possibilité, continua Hélène, je vous aide, mais à mes conditions.
Elle sortit un autre document, préparé avec Maître Lefèvre.
— Un accompagnement encadré : conseil financier avec un professionnel, plan de remboursement de vos dettes, suivi régulier. L’argent que je mettrai ne passera jamais directement par vos comptes. Il sera versé aux créanciers via la notaire. Vous ne vivrez pas ici. Vous ne déciderez de rien pour la maison.
Elle les regarda l’un après l’autre.
— C’est ça ou rien. Et vous avez vingt-quatre heures pour choisir.
Thomas éclata :
— Vingt-quatre heures ? Tu te prends pour qui ? Pour une juge ?
— Pour la propriétaire de cette maison, répondit Hélène. Et pour quelqu’un qui a mis toute une vie à comprendre que « famille » ne veut pas dire « porte-monnaie ouvert ».
Camille ouvrit la bouche, la referma, puis se leva brusquement.
— On en parlera, dit-elle.
— Faites donc, conclut Hélène. Mais n’oubliez pas : pas de troisième option.
Le soir, la maison semblait retenir son souffle.
Thomas faisait les cent pas au rez-de-chaussée, téléphone à l’oreille, voix basse, ton sec. Camille s’était enfermée dans la chambre d’amis.
Hélène, dans son lit, ne trouvait pas le sommeil. Elle se leva finalement, enfila une robe de chambre et descendit sans bruit jusqu’au couloir.
En passant devant la porte de la chambre, elle s’arrêta.
On entendait une voix étouffée. Celle de Camille.
— …je n’y arrive plus, murmurait-elle.
Hélène resta immobile.
— Ce n’était pas censé se passer comme ça, continuait Camille. On devait revenir, la rassurer, lui montrer qu’on est là, qu’on va s’occuper d’elle… Et tout tomberait en place.
On entendit un léger sanglot.
— Mais elle est plus forte que nous, plus organisée, plus… lucide.
Un silence, puis :
— Je crois que je n’ai jamais voulu le voir. Je préférais la prendre pour une vieille femme dépassée plutôt que d’admettre qu’elle avait raison.
Hélène sentit ses yeux la piquer. Elle appuya la tête contre le mur, les mains serrées sur le tissu de sa robe de chambre.
Camille parlait à voix basse, peut-être à Thomas, peut-être à elle-même.
— Je suis partie en croyant que ma mère me retenait, murmura-t-elle. En réalité, c’est moi qui n’ai jamais grandi.
Les mots restèrent longtemps dans la tête d’Hélène. Elle aurait pu frapper, entrer, poser la main sur l’épaule de sa fille.
Elle ne le fit pas.
Pas par dureté. Par respect.
Pour la première fois, Camille faisait face à elle-même.
Le lendemain, la réponse ne vint pas tout de suite.
Le petit-déjeuner se déroula dans un silence lourd. Thomas avait le visage fermé, les traits tirés. Camille regardait sa tasse, les yeux cernés.
Après le café, Hélène débarrassa la table, se retourna, et dit simplement :
— Il est presque midi.
Thomas se leva d’un bond.
— On s’en va, lâcha-t-il. Garde ta maison, garde ton argent.
Il attrapa sa valise préparée dans le couloir.
— Tu nous regretteras, ajouta-t-il en se dirigeant vers la porte.
Hélène resta droite.
— Je vous souhaite de trouver un chemin qui ne passe plus par les mensonges, dit-elle. C’est tout.
Camille resta un instant plantée au milieu du salon, entre la valise de Thomas et le regard de sa mère. Elle avait l’air d’une petite fille perdue dans un corps d’adulte.
— Camille, appela Hélène, d’une voix ni dure, ni suppliante.
Leurs regards se croisèrent.
— Je t’ai donné une possibilité, dit-elle. La vraie. Elle est toujours là.
Camille serra les lèvres.
— Je… je ne sais pas, maman, murmura-t-elle.
La voix de Thomas tonna depuis l’extérieur :
— Tu viens ?
Camille baissa la tête, attrapa son sac à main et sortit sans se retourner.
La porte se referma.
Le silence qui suivit ne ressemblait plus au silence d’autrefois. Ce n’était plus un vide. C’était une frontière.
Hélène resta quelques minutes dans l’entrée, la main sur la poignée. Puis elle verrouilla calmement.
— Cette fois, je ne cours plus derrière eux, se dit-elle à voix basse.
Les jours suivants furent étranges.
La maison paraissait presque trop grande, mais pas oppressante. Hélène se remit à ses habitudes : ses lectures, ses promenades, les réunions avec l’association, un café de temps en temps avec ses voisines.
Paul passait la voir régulièrement.
— Tu as bien fait, maman, lui disait-il. Ce n’est pas à toi de porter leurs erreurs.
— Ça me fait mal, avouait-elle. Mais je sais que c’était nécessaire.
Aucune nouvelle de Camille ni de Thomas.
Le temps passa. Les feuilles des arbres jaunirent, tombèrent, l’hiver arriva, puis le printemps.
Un après-midi de mai, alors qu’Hélène classait des papiers pour la fondation dans la cuisine, son téléphone vibra. Numéro inconnu.
Elle hésita, puis décrocha.
— Allô ?
Un silence, puis une voix qu’elle aurait reconnue entre mille :
— Maman…
Camille.
Hélène sentit son cœur se serrer et se détendre à la fois.
— Oui ?
— Je… Je ne veux pas te déranger, dit Camille. Je voulais juste… t’annoncer quelques choses.
Sa voix n’avait plus le ton brillant d’autrefois. Elle parlait doucement, comme quelqu’un qui a appris à peser ses mots.
— Thomas est parti, dit-elle.
Un silence.
— Comme ça ? demanda simplement Hélène.
— Oui, répondit Camille. Un soir, il a rangé deux valises et il m’a dit qu’il n’avait pas signé pour “une vie de contraintes et de comptes à rendre”. Il ne supportait pas l’idée de ce programme que tu proposais, ni tes conditions. Il est parti vivre ailleurs. Je ne sais même pas où, pour être honnête.
La douleur dans sa voix était réelle.
— Et toi ? demanda Hélène.
— Moi… je suis restée, répondit Camille. Pas ici, chez toi. Mais je suis restée dans la région.
Elle inspira profondément.
— J’ai trouvé un petit appartement. Rien de chic, mais il est à mon nom, et je le paye avec mon travail.
— Quel travail ?
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