Cet ancien pompier méprisé par le quartier a traversé le feu pour sauver un petit garçon

L’ANCIEN POMPIER QUI A TRAVERSÉ LE FEU AVEC UN PETIT GARÇON DANS LES BRAS

Je l’ai vu sortir des flammes comme une apparition.

Un colosse en blouson épais, le visage noirci, les bras en sang à cause des ronces, portant dans ses bras un petit garçon de quatre ans, inconscient, serré contre sa poitrine comme un trésor fragile.

Sa vieille camionnette rouge, celle qu’il bichonnait comme une relique de caserne, était restée quelque part derrière lui, avalée par l’incendie de forêt.

Nous étions au point de rassemblement d’urgence, sur un parking de supermarché à la sortie d’un village du sud de la France. Tout autour, des familles hébétées, des voitures chargées à la va-vite, des sirènes, des gyrophares.

Et lui, cet homme immense, avançait à pied, en titubant, avec le petit Léo sanglé contre lui à l’aide de son propre blouson de cuir. Sur son dos, un petit réservoir d’oxygène fixé avec une sangle, comme un sac de randonnée improvisé.

Le garçon était le fils de ma voisine, Claire. Léo est né avec un handicap lourd, toujours en fauteuil roulant, toujours avec son oxygène. Quand le feu a sauté la route départementale et qu’on a ordonné l’évacuation immédiate, tout le monde est parti précipitamment.

Tout le monde… sauf Léo.

Sa mère hurlait qu’elle ne pouvait pas le mettre dans sa petite voiture avec le fauteuil, les bouteilles d’oxygène, les affaires. Les pompiers sur place lui avaient répondu que la piste forestière était déjà coupée, que le feu arrivait trop vite, qu’ils ne pouvaient plus remonter jusqu’à leur maison isolée.

« Les chemins sont impraticables, madame, c’est trop tard », lui avait dit l’un d’eux, la gorge serrée.

Alors lui s’était avancé.

Un homme massif, la cinquantaine, cheveux gris coupés court, barbe de trois jours, blouson de cuir usé par la vie. Il ne portait plus l’uniforme, mais on voyait encore l’ancienne bande réfléchissante décousue sur le côté de sa veste.

« Dites-moi où est la maison », avait-il simplement demandé.

On lui avait montré la carte. Il avait hoché la tête sans un mot, démarré son vieux fourgon rouge réformé de la caserne – qu’il avait racheté il y a des années – et s’était engouffré seul vers la colline en feu.

Personne au point de rassemblement ne pensait le revoir vivant.

Et pourtant, une heure plus tard, il revenait à pied, couvert de cendres, les mains brûlées, portant Léo, inconscient mais respirant.

« Il a besoin de soins tout de suite », a-t-il soufflé, la voix cassée par la fumée. « Je n’ai pas arrêté l’oxygène, mais ça fait plus de vingt minutes qu’il ne répond plus. »

Les secouristes se sont précipités. Même inconscient, la minuscule main de Léo serrait encore le col de ce blouson noirci, comme s’il refusait de le lâcher.

Claire s’est effondrée à genoux.

« Ils m’ont dit que personne ne pouvait passer… que la route n’existait plus… Comment vous avez… comment… ? »

Elle n’a pas fini sa phrase.

L’homme se laissa tomber assis à côté du brancard, et c’est là qu’on a vu l’ampleur des dégâts. Sous son blouson, son dos n’était plus qu’un mélange de rouge, de cloques et de suie. Des cicatrices ouvertes zébraient ses épaules, comme s’il avait forcé des branches enflammées à coups d’épaule. Ses mains étaient à vif, la peau arrachée, boursouflée par la chaleur.

Il n’avait pas dit un mot de tout ça avant que le petit soit pris en charge.

« Monsieur, il faut vous soigner, tout de suite », insista une infirmière.

Il secoua la tête.

« Le petit d’abord. Moi, ça ira. »

Ça n’allait pas du tout. Même moi, simple voisin, je voyais bien qu’il tenait debout par orgueil plus que par force. Il restait pourtant assis par terre, les yeux rivés vers Léo, pendant que les soignants s’agitaient autour de l’enfant.

C’est à ce moment-là que je l’ai reconnu.

Marc Vidal.

Ancien pompier professionnel, parti en retraite anticipée après un grave accident en intervention quelques années plus tôt. Depuis, il vivait à la sortie du village avec une bande d’autres anciens sapeurs, dans un ancien entrepôt transformé en local associatif.

On les appelait, avec une pointe de mépris, « les Vieux Casques ».

Notre association de quartier avait même lancé une pétition pour qu’ils ferment plus tôt leur local, pour qu’ils évitent de stationner leurs vieux véhicules rouges dans la rue, pour qu’ils « ne fassent pas peur aux enfants ».

Sur le groupe Facebook du quartier, on lisait souvent qu’ils étaient « louches », « toujours à faire du bruit », « à boire des bières à midi », que ça « ramenait une mauvaise image » dans le village.

Ce jour-là, celui que beaucoup prenaient pour un gêneur venait de risquer sa vie pour un enfant qu’il ne connaissait pas.

« Son fauteuil roulant… » sanglotait Claire. « Il est resté à la maison… Il est fait sur mesure… ça vaut une fortune… l’assurance ne remboursera jamais… »

Marc tourna la tête vers elle. Ses yeux étaient rouges, mais sa voix resta étonnamment douce.

« Madame, votre fils est vivant. C’est ça qui compte. »

Je le vis pourtant sortir son téléphone, les doigts tremblant, et taper des messages à toute vitesse, alors même que les soignants essayaient de le faire allonger sur un brancard.

Une demi-heure plus tard, alors que l’hélicoptère du SAMU se posait pour transporter Léo vers l’hôpital pour enfants le plus proche, des véhicules commencèrent à affluer.

Pas seulement des voitures. Des utilitaires, des fourgonnettes, quelques motos, un vieux camion d’intervention repeint.

Les Vieux Casques arrivaient. Et avec eux, d’autres anciens pompiers, des bénévoles, des voisins qui avaient l’air de les connaître par leur prénom.

« Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? » grogna le commandant des pompiers sur place.

Un homme au crâne rasé, avec une veste où l’on devinait encore l’emplacement des galons décousus, s’avança.

« On a entendu dire qu’il y a des familles qui ont tout perdu. On a amené ce qu’on pouvait », dit-il simplement.

Des caisses d’eau, des couvertures, des vêtements, des jouets pour enfants, des médicaments de première nécessité… Tout ce qu’ils avaient pu charger en quelques minutes.

Mais Marc, lui, s’occupait d’autre chose. Toujours assis, refusant qu’on le mette encore sur un brancard, il parlait à voix basse avec l’un des hommes arrivés avec les utilitaires. Il lui montrait une photo sur son téléphone, un plan peut-être.

L’autre hocha la tête, posa son casque, remonta en voiture et repartit vers la direction de la forêt qui brûlait encore.

« Vous ne pouvez pas retourner là-haut ! » cria le commandant. « Toute la colline est en train de flamber ! »

Mais la voiture était déjà loin.

Marc finit par céder aux soignants. Ils lui mirent un masque à oxygène, commencèrent à traiter ses brûlures à la va-vite avant de l’embarquer vers l’hôpital. Mais même allongé sur le brancard, il ne quittait pas l’horizon du regard, là où s’étendait toujours la fumée noire.

Claire était assise à côté de lui, la main sur la sienne, attendant de monter à son tour dans l’hélicoptère avec Léo.

Elle le regarda longuement.

« Pourquoi ? » demanda-t-elle enfin. « Vous ne nous connaissez pas. On a été odieux avec votre association. On a signé des pétitions contre vous. On ne voulait plus de vous dans le quartier. Pourquoi vous avez risqué votre vie pour mon fils ? »

Marc ferma les yeux un instant, comme s’il cherchait la force de répondre.

« J’avais un fils, moi aussi », murmura-t-il. « Il est mort il y a dix ans. Accident de la route. Il avait sept ans… »

Sa voix se brisa.

« Ce jour-là, je n’ai rien pu faire. J’étais pompier, et je n’ai pas pu le sauver. Aujourd’hui, j’ai pu sortir le vôtre. Alors… je n’ai pas réfléchi. »

L’hélicoptère décolla avec Léo et sa mère. Marc refusa d’y monter. Il fut conduit par ambulance vers un autre hôpital disposant d’un service des grands brûlés.

La nuit tomba, rouge et noire. Une partie du village brûla. Le lotissement en haut de la colline, celui où beaucoup d’entre nous habitaient, fut en partie détruit.

Le lendemain matin, les journaux télévisés parlaient des hectares de forêt partis en fumée, des maisons ravagées.

Mais l’histoire qui tournait le plus sur les réseaux sociaux ne parlait pas de chiffres.

Quelqu’un, au point de rassemblement, avait filmé avec son téléphone l’arrivée de Marc portant Léo dans ses bras. On le voyait émerger de la fumée, vacillant, le visage noir, le petit corps du garçon attaché à lui avec son blouson. On voyait Claire se jeter à genoux. On entendait les sirènes, les cris, et la phrase de Marc :

« Je n’ai pas arrêté son oxygène… mais il ne répond plus… »

La vidéo devint virale en quelques heures.

Des milliers de commentaires. Des messages de soutien. Des “merci” adressés à cet “ancien pompier inconnu”.

Pour nous, au village, ce n’était plus un inconnu.

À l’hôpital pour enfants, Léo se battait. Il avait inhalé beaucoup de fumée. Son petit corps fragile était épuisé. Les médecins n’osaient pas faire de pronostic.

Marc, lui, était plongé dans la douleur et les traitements. Brûlures au deuxième degré sur une grande partie du dos, des bras, des mains. Poumons irrités par la fumée.

Et pourtant, ce qui l’obsédait, d’après l’infirmière, ce n’était pas sa santé.

« Il demande sans arrêt : “Le petit va bien ? Il respire ?” » raconta-t-elle plus tard.

Trois heures après le départ de l’hélicoptère, alors que le feu continuait à se rapprocher du point de rassemblement, une camionnette apparut. Derrière, attachée avec des sangles, quelque chose de métallique roulait lentement.

Le fauteuil de Léo.

Noirci par la fumée, un peu brûlé sur les bords, la peinture cloquée par la chaleur. Mais entier.

Je regardai la scène, stupéfait.

« Mais… ce fauteuil vaut plus de dix mille euros », lâchai-je à voix haute, sans même réfléchir. « Vous auriez pu mourir en retournant là-haut… pour ça. »

L’homme qui conduisait – un autre ancien pompier, ami de Marc – haussa les épaules.

« Le gamin va en avoir besoin quand il sortira de l’hôpital », dit-il simplement. « C’est déjà assez dur de perdre sa maison. Il n’avait pas besoin, en plus, de perdre sa liberté. »

À partir de là, tout s’enchaîna.

Les Vieux Casques organisèrent, depuis leur local, une collecte pour les familles sinistrées. Ils appelèrent des anciens collègues, des associations, des artisans.

En trois jours, ils récoltèrent une somme impressionnante, des vêtements, des meubles, de l’électroménager. Ils installèrent des matelas dans leur entrepôt pour accueillir provisoirement les familles évacuées.

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