« Et ce n’est pas tout », poursuivit-il, raide. « On m’a aussi montré ton acte de mariage. Avec Marc Delcourt. Ça aussi, tu avais “oublié” de m’en parler ? »
Elle ferma les yeux une seconde.
« Oui. Je l’ai épousé quand Lina avait cinq ans. J’ai cru que je pouvais refaire ma vie, lui offrir un père. J’ai essayé d’y croire. Mais je n’ai jamais cessé de… » Elle s’interrompit. « Peu importe. Ça a été une erreur. Je n’ai pas voulu t’en parler l’autre jour parce que j’avais honte. Je savais comment ça sonnerait. »
« Et le test ? » Sa voix était plus dure qu’il ne l’aurait voulu. « Là, tu as quoi comme explication ? »
Elle le regarda droit dans les yeux.
« Je n’en ai aucune. Je sais seulement ce que je sais. Lina est ta fille. Je jouerais ma vie dessus. »
« Le médecin, lui, joue sa réputation. Le laboratoire, ses protocoles. » répliqua-t-il. « Tout le monde ne peut pas se tromper pour te faire plaisir. »
Elle encaissa le coup sans répondre.
Au bout du couloir, ils entendirent le crissement d’un stylo : Lina dessinait, comme toujours quand elle était inquiète.
« Qu’est-ce que tu vas faire ? » demanda Claire dans un souffle.
Julien resta un moment à fixer le sol.
« J’ai déjà engagé les frais pour commencer ton nouveau traitement. Je ne reviendrai pas dessus. Tu en bénéficieras jusqu’à la fin du mois, comme je l’ai promis au centre. Après… je ne sais pas. »
Elle se leva avec difficulté.
« Ne coupe pas avec Lina. Épargne-lui au moins ça. Elle n’a rien demandé. »
« Justement, elle n’a rien demandé. Et je refuse qu’on se serve d’elle pour me tenir. »
La phrase sortit trop vite, trop tranchante.
Il la regretta aussitôt.
Mais le mal était fait.
Claire pâlit encore.
« Alors tu penses vraiment que j’ai inventé tout ça ? Que j’ai élevé seule une enfant pendant sept ans juste pour venir te soutirer de l’argent à la fin ? »
« Je pense que je ne te connais plus. » dit-il, la gorge serrée. « Peut-être que je ne t’ai jamais connue. »
Il tourna les talons avant de voir les larmes qui commençaient à rouler sur ses joues.
Ce soir-là, son appartement lui parut plus vide que jamais.
Camille passa, apporta une bouteille de vin, parla de « tourner la page ».
Il l’écoutait à peine.
Son téléphone vibra.
Un message, numéro inconnu.
Il l’ouvrit.
Lina : Bonjour c’est Lina. Maman pleure beaucoup. Elle ne veut pas me dire pourquoi. Est-ce que c’est parce que j’ai fait quelque chose de mal ? Je peux être plus sage si tu veux. S’il te plaît ne sois pas fâché.
Il sentit une brûlure monter derrière ses paupières.
« C’est qui ? » demanda Camille.
« Personne. » répondit-il trop vite, en reposant le téléphone à l’envers.
Le téléphone vibra encore.
Est-ce que tu vas quand même aider maman pour le traitement ? Elle dit que peut-être tu ne voudras plus. Mais moi je crois que tu es gentil. Même si le test s’est trompé.
Julien prit le téléphone, s’enferma dans sa chambre.
Il resta longtemps à regarder l’écran avant de répondre :
Tu n’as rien fait de mal, Lina. Tu es une petite fille formidable. Et je vais continuer à aider ta maman pour le traitement.
Il s’arrêta là.
Il n’avait pas le courage de répondre à la question qu’elle n’osait pas poser : Vas-tu rester dans nos vies ?
Les jours suivants, Julien travaillait mécaniquement.
Réunions, signatures, présentations.
De l’extérieur, rien n’avait changé.
À l’intérieur, tout sonnait faux.
C’est son médecin qui fit bouger les choses.
Un soir, alors qu’il s’apprêtait à quitter le bureau, il l’appela.
« Julien, je voulais te parler du test. Pas des résultats – ça, on les connaît – mais de… la manière dont tout s’est passé. »
« Il y a un problème ? »
« Disons des choses qui m’ont dérangé. D’abord, ton collaborateur – enfin, ta collaboratrice, je crois – a appelé mon cabinet pour se renseigner sur les délais, les procédures, qui manipule quoi. Mon assistante lui a répondu que ces détails étaient confidentiels. J’ai trouvé ça curieux. »
Julien sentit un frisson lui courir dans le dos.
« Mon collaborateur ? »
« Oui, mademoiselle… comment déjà ? Camille. Elle a insisté. Le lendemain, nous avons eu une panne informatique au labo. Courte, mais suffisante pour qu’on doive relancer certains tests. Je n’aime pas les coïncidences. J’ai fait vérifier les échantillons : il y a une trace de contamination sur le tien. Pas dramatique en soi, mais assez pour fausser un résultat. »
« Tu es en train de me dire que… le test pourrait être erroné ? »
« Je suis en train de te dire que je ne suis pas tranquille.
Si tu veux un résultat incontestable, on peut refaire le test ailleurs, dans un centre universitaire, avec un protocole béton. Mais il faut que ce soit toi qui apportes les échantillons, sans intermédiaire. »
Julien resta silencieux un moment.
Dans sa tête, d’autres souvenirs remontaient :
Camille qui, huit ans plus tôt, lui tendait une enveloppe avec ces photos de Claire et « l’autre homme ».
Camille qui lui disait : « Je suis désolée de te montrer ça, mais tu dois savoir. »
« Refaisons le test », dit-il enfin. « Tout de suite. »
Le lendemain, il se présenta lui-même au laboratoire hospitalier recommandé par le médecin.
Pas de chauffeur, pas d’assistant, pas de Camille.
Juste lui, un ticket numéroté, une salle d’attente impersonnelle comme tant d’autres.
Il appela Claire.
La conversation fut froide au début.
« Pourquoi tu rappelles ? » demanda-t-elle, méfiante.
« Parce que mon médecin m’a parlé d’irrégularités sur le premier test. Je veux en refaire un. Dans un autre labo. Sans personne entre nous. »
« Tu crois maintenant ce que je t’ai dit l’autre jour ? »
« Je ne sais pas encore ce que je crois. Je sais seulement que quelque chose cloche. Et que si, au fond de toi, tu étais en train de dire la vérité, je ne pourrais pas me le pardonner. »
Il entendit un léger soupir, puis :
« Très bien. Pour Lina, je viendrai. »
Ils se retrouvèrent à l’hôpital.
Lina fut ravie de revoir Julien, comme si rien ne s’était passé.
Claire, elle, gardait une distance prudente.
Cette fois, les prélèvements furent faits en présence d’un médecin-chef, scellés devant eux, les papiers signés à quatre mains.
« Quand saurons-nous ? » demanda Claire.
« Sous quarante-huit heures », répondit le médecin. « Et je peux vous assurer que personne en dehors de cette équipe n’aura accès aux échantillons. »
Ces deux jours-là furent les plus longs de la vie de Julien.
Camille sentait bien qu’il lui échappait.
Elle devenait nerveuse, insistante, voulait « voir les choses ensemble », lui parlait de voyages prévus, de projets à long terme.
Il l’écoutait à peine, observant avec un regard nouveau des détails qu’il n’avait jamais questionnés :
– la facilité avec laquelle elle semblait toujours « savoir » des choses sur les autres ;
– la manière dont, il y a huit ans, elle s’était retrouvée exactement au bon endroit pour lui montrer ces photos anonymes de Claire ;
– sa jalousie discrète mais constante chaque fois qu’on évoquait son passé avec Claire.
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