Le coup de fil décisif arriva en fin d’après-midi.
« Julien ? » La voix du médecin était plus grave que d’habitude.
« Oui ? »
« Nous avons les résultats. Cette fois, il n’y a pas la moindre ambiguïté. Lina et toi avez un profil génétique père-fille. Probabilité de paternité : 99,9 %. Le premier test a été clairement faussé. »
Il dut s’asseoir.
« 99,9 %… »
« Oui. Et j’ai une mauvaise nouvelle pour quelqu’un d’autre : le laboratoire qui a fait le premier test a confirmé qu’il y a eu manipulation volontaire des échantillons. La police va devoir être informée. »
Julien le remercia, raccrocha.
Ses mains tremblaient, mais ce n’était plus de doute.
C’était de la colère.
Et un début d’espoir.
Il monta chez Claire le soir même.
Cette fois, il n’avait pas prévenu.
Elle ouvrit avec un foulard sur la tête, un vieux pull, l’air épuisé.
Quand elle le vit, elle se crispa.
« Je n’ai pas la force pour une nouvelle dispute, Julien. »
« Il n’y aura pas de dispute. » dit-il doucement. « Je viens te demander pardon. »
Elle cligna des yeux, comme si elle avait mal entendu.
« Le deuxième test est revenu », continua-t-il. « Il a été fait dans un autre hôpital, avec des procédures sécurisées. Lina est ma fille. Sans aucun doute. Le premier test a été truqué. »
Les jambes de Claire se dérobèrent un peu.
Elle s’agrippa à l’encadrement de la porte.
« Je… je le savais. Mais je commençais à me dire que j’étais folle. » murmur-t-elle, des larmes lui montant aux yeux.
« Ce n’était pas toi la folle », dit-il avec une amertume froide. « C’est moi qui ai été aveugle. Et quelqu’un a tout fait pour que je le reste. Il y a huit ans déjà. »
« Camille ? » devina-t-elle.
Il hocha la tête.
« C’est elle qui m’a montré les photos à l’époque. C’est elle qui a appelé mon médecin pour le premier test. C’est elle qui connaissait mes horaires, mes fragilités, tout. Elle m’a avoué à demi-mot, tout à l’heure, qu’elle m’aimait “depuis toujours”. Qu’elle ne supportait pas de me voir avec toi. »
Claire s’assit lentement sur le canapé.
« Qu’est-ce que tu vas faire ? »
« Ce que j’aurais dû faire depuis longtemps : la tenir à distance de ma vie. Et laisser la justice faire son travail pour la falsification des résultats médicaux. »
Il s’agenouilla devant elle.
« Mais avant tout… je veux réparer ce que je peux réparer ici. Avec toi. Et avec Lina. Si tu m’en laisses la chance. »
Elle le fixa longtemps, le visage baigné de larmes silencieuses.
« Tu m’as fait très mal, Julien. Deux fois. La première en me croyant infidèle. La deuxième en doutant de ma fille. »
« Je sais. » Sa voix se brisa. « Je n’ai aucune excuse. Seulement une question : est-ce que tu me laisses essayer de faire mieux ? De te croire, cette fois. De vous croire, toutes les deux. »
La porte de la chambre s’ouvrit doucement.
Lina, en pyjama, les cheveux emmêlés, apparut.
« Maman ? Pourquoi tu pleures encore ? »
Elle aperçut Julien.
Ses yeux s’agrandirent.
« Tu es revenu… »
Julien se leva, essuya très maladroitement ses propres yeux.
« Oui, Lina. Je suis revenu. Et j’ai une chose très importante à te dire. »
Elle s’approcha, pieds nus qui faisaient à peine de bruit sur le parquet.
« Tu te souviens du test ? »
« Oui. Maman dit que c’est comme un puzzle avec du sang. »
Il sourit malgré lui.
« On l’a refait. Dans un autre endroit. Cette fois, les médecins sont sûrs. Lina… je suis ton papa. Pour de vrai. Pas seulement dans ton dessin. »
La fillette resta immobile deux secondes.
Puis elle se jeta littéralement dans ses bras, avec une force qui le fit presque basculer.
« Je le savais ! » cria-t-elle, la voix étranglée de joie. « Je le savais, moi ! Tu as mes yeux et mes mains, et tu regardes maman comme dans les films. Je le savais ! »
Elle éclata en sanglots contre son cou, un mélange de rires et de larmes.
Claire, elle, pleurait en silence, une main sur la bouche.
Julien les serra toutes les deux, l’une après l’autre, comme pour s’assurer qu’elles étaient bien réelles.
« Je vous promets une chose », dit-il d’une voix tremblante. « Plus jamais je ne laisserai quelqu’un nous séparer comme ça. Plus jamais. »
Les semaines suivantes furent remplies de rendez-vous médicaux, de papiers, d’allers-retours entre Saint-Denis, l’hôpital et la Défense.
Julien avait prévenu le conseil d’administration : il serait moins disponible, temporairement.
À sa grande surprise, la plupart des administrateurs avaient hoché la tête avec compréhension.
« On vous a vu bosser comme un fou pendant quinze ans, avait dit l’un d’eux. Ce n’est pas un crime de penser à votre famille. »
Camille, elle, avait été mise à pied, puis licenciée.
Le laboratoire avait transmis au parquet les éléments prouvant la manipulation des échantillons.
Il n’était pas nécessaire d’entrer dans les détails avec Lina ; pour elle, Camille devint simplement « une dame qui a fait quelque chose de très grave ».
Julien passait désormais presque tous ses soirs à Saint-Denis.
Il aidait Lina à faire ses devoirs, faisait la vaisselle avec Claire, apprenait à vivre dans un espace petit mais plein de vie.
Un dimanche matin, alors qu’ils revenaient du marché avec un filet de légumes et un poulet rôti, Lina déclara soudain :
« Tu sais, papa, on pourrait tous habiter chez toi. Comme ça, tu n’aurais plus à faire plein de trajets. Et maman aurait un canapé qui ne fait pas mal au dos. »
Claire rougit.
« Lina… »
« Quoi ? C’est vrai. Et il y aurait de la place pour mes dessins. Et une chambre rien que pour toi, maman, pour dormir quand tu es fatiguée. »
Julien sourit.
Il y pensait déjà depuis des jours, sans oser le proposer de peur de donner l’impression d’imposer sa vie.
« Ça ne se décide pas en un matin de marché, dit-il doucement. Mais si maman est d’accord, moi… je serais très heureux de vous avoir toutes les deux à la maison. »
Claire le regarda longuement.
« Je ne veux pas être un poids. »
« Tu es tout sauf un poids, Claire. Vous êtes… ce qui manquait ici. » Il posa sa main sur sa propre poitrine.
Quelques semaines plus tard, un petit camion de déménagement s’arrêta devant l’immeuble gris.
Lina avait glissé des post-it « FRAGILE » partout, même sur ses peluches.
Claire, affaiblie par les traitements mais plus souriante, donnait des instructions en s’excusant tout le temps.
Julien avait transformé son grand appartement en véritable foyer :
– une petite chambre peinte en jaune pâle pour Lina, avec un lit mezzanine et un mur entier dédié à ses dessins ;
– une pièce pour Claire, remplie de plantes vertes qu’il ne savait pas encore entretenir ;
– et surtout, des photos déjà imprimées : Lina à l’hôpital qui tire la langue à l’objectif, Claire et lui sur un banc, un soir de printemps.
Lina entra en courant dans sa nouvelle chambre, tourna sur elle-même.
« C’est chez nous ? Pour de vrai ? »
« Pour de vrai », répondit Julien.
Elle se précipita vers la fenêtre qui donnait sur Paris.
« On voit la tour là-bas ! Et le fleuve ! Et… oh, on est tout en haut, comme dans l’ascenseur de ton bureau, mais sans costume. »
Claire s’approcha à son tour, posa une main sur l’épaule de Julien.
« Tu es sûr de toi ? » murmura-t-elle.
« Je n’ai jamais été aussi sûr de rien. »
Les mois passèrent.
Le traitement de Claire porta ses premiers fruits : les scanners montraient des signes encourageants, les médecins parlaient de « rémission possible ».
Ses cheveux repoussèrent doucement, en petites boucles qu’elle plaisantait en appelant « mon duvet de poussin ».
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