Au-dessus du cadre, Lina avait collé une petite phrase écrite de sa propre main :
« Un jour, j’ai eu peur. Alors j’ai été courageuse. »
Un soir d’été, alors que le soleil se couchait sur Paris en teignant la Seine de rose et d’or, la petite famille était réunie sur le balcon.
Claire avait fini un contrôle de routine : la maladie était toujours en rémission.
Julien tenait deux tasses de tisane, Lina grignotait un morceau de chocolat.
« À quoi tu penses, papa ? » demanda-t-elle en le voyant pensif.
Il regarda la ville, les lumières, le reflet des nuages dans les vitres des tours au loin.
« Je pense qu’un matin, une petite fille est entrée dans mon bureau avec une enveloppe froissée et qu’elle a tout changé.
Je pense que j’ai failli laisser filer ma chance une deuxième fois.
Et je me dis que parfois, les choses les plus importantes de nos vies tiennent dans un tout petit geste. Trois coups frappés sur une porte, par exemple. »
Lina sourit.
« Moi, je pense que maman avait raison. Elle dit toujours que les bonnes choses arrivent à ceux qui ne renoncent pas.
On n’a pas renoncé, hein ? »
Claire se rapprocha, passa un bras autour de sa fille, l’autre autour de Julien.
« Non, on n’a pas renoncé », répondit-elle doucement. « Et maintenant, on a toute une vie pour en profiter. »
Julien les serra toutes les deux contre lui.
Le vent du soir apportait une odeur de pierre chaude et de poussière, typique des fins de journée parisiennes.
Il ferma les yeux un instant, laissant monter une gratitude tranquille.
La lettre, là-haut dans la chambre de Lina, n’était plus seulement un morceau de papier.
C’était un rappel.
Celui d’un jour où une femme avait trouvé la force d’écrire malgré la peur.
Et où une petite fille avait trouvé le courage de traverser toute une ville pour tendre cette lettre à un homme qui avait oublié qu’il avait un cœur.
Leur histoire avait commencé par :
« Monsieur… vous pouvez lire cette lettre ? C’est très important. »
Elle continuait maintenant, chaque jour, dans des choses en apparence ordinaires :
un petit-déjeuner à trois, un contrôle de maths, une main qu’on attrape au milieu de la nuit.
Et Lina, qui n’oubliait rien, murmurait parfois avant de s’endormir :
« Les lettres, ça peut changer une vie. Mais c’est l’amour qui écrit la suite. »
Ce soir-là, Julien se promit de ne plus jamais laisser une enveloppe importante traîner sur un coin de bureau.
Et surtout, de ne plus jamais sous-estimer le courage d’une petite fille de sept ans qui avait décidé, un mardi matin, de sauver sa famille à coups de bus, de tram, et d’une simple phrase :
« S’il vous plaît, monsieur… vous pouvez lire cette lettre ? »
Dix ans avaient passé.
Paris avait changé, un peu.
Les trottinettes avaient envahi les trottoirs, les cafés avaient refait leurs terrasses, de nouvelles tours s’élevaient à la Défense.
Mais dans un appartement lumineux, pas très loin de la Seine, il y avait toujours le même cadre accroché au mur d’une chambre.
La lettre.
Celle de Claire à Julien.
Le papier avait jauni, l’encre avait pâli, mais on pouvait encore lire :
« Notre fille, Lina. »
Sous le cadre, une jeune fille attachait ses cheveux en queue-de-cheval devant un miroir.
Lina avait maintenant dix-sept ans.
Toujours les mêmes yeux bleu clair, le même pli entre les sourcils quand elle se concentrait.
Mais ses traits s’étaient affinés, et dans son regard il y avait cette solidité qu’ont ceux qui ont grandi un peu trop vite.
Elle enfila un sweat à capuche, attrapa son sac et passa la tête par la porte de la cuisine.
« Maman, papa, je pars ! Si je ne rentre pas pour le dîner, ne paniquez pas, je serai à l’hôpital. »
Julien, assis à la table avec un mug de café, leva les yeux de l’écran de sa tablette.
Il avait quelques cheveux blancs de plus, des ridules autour des yeux, mais son regard s’était adouci.
« Tu as bien ton pass, au moins ? »
« Oui, papa. Et mon badge. Et mon carnet. Et mon sandwich. Je ne suis plus la petite fille qui se perd dans le tram, tu sais. »
Claire, en train de couper des fruits, sourit.
Elle portait désormais les cheveux courts par choix, non plus par nécessité.
Le cancer faisait partie de son dossier médical, plus de son quotidien.
« Tu vas dans quel service aujourd’hui ? »
« En pédiatrie, je pense. Ils manquent de bénévoles pour lire des histoires et aider à écrire des lettres. »
Julien se leva, vint déposer un baiser sur le front de sa fille.
« Rentre pas trop tard. Et si tu es fatiguée, tu lèves le pied. Tu n’es pas obligée de sauver le monde en une journée. »
Lina leva les yeux au ciel, avec le même geste que Claire autrefois.
« Je ne sauve personne. J’écoute. Et je lis. C’est vous qui m’avez appris que parfois, ça suffit. »
Elle disparut dans le couloir, le bruit de ses baskets s’éloignant vers l’ascenseur.
Claire le regarda, lui, avec ce sourire qu’il connaissait par cœur.
« Tu te rends compte ? Si je n’avais pas écrit cette lettre… »
« …elle ne passerait pas ses mercredis à lire celles des autres », compléta Julien doucement.
Il serra la main de Claire sur la table.
« Tu as lancé quelque chose ce jour-là. Beaucoup plus grand que tu ne l’imaginais. »
À l’hôpital, Lina connaissait presque tout le monde.
Les infirmières la tutoyaient, les aides-soignants lui faisaient des blagues, le médecin référent la saluait d’un signe de tête accompagné d’un « Bonjour, future collègue », même si Lina n’était pas encore certaine de ce qu’elle voulait faire plus tard.
Dans le service pédiatrique, les murs étaient couverts de dessins et de guirlandes en papier.
Elle accrocha son badge de bénévole à son sweat, puis frappa à la porte d’une petite chambre.
À l’intérieur, un garçon d’une dizaine d’années, tête rasée, surveillait une perfusion d’un air sombre.
Sa mère, assise dans un coin, triturait un mouchoir.
« Bonjour, je m’appelle Lina, dit-elle en entrant. Je viens parfois aider pour les devoirs, les histoires, les lettres… ce genre de trucs. »
Le garçon haussa les épaules.
« J’aime pas lire. »
« Ça tombe bien, moi si. » répondit-elle avec un clin d’œil. « Tu peux juste écouter. »
Il eut un début de sourire malgré lui.
La mère, elle, serrait un petit carnet dans sa main.
Lina remarqua qu’il était plein de pages noircies.
« Vous écrivez ? » demanda-t-elle doucement.
La femme hocha la tête.
« J’essaie. Mais je n’arrive pas à trouver les mots. Je voudrais… laisser quelque chose. Au cas où. Pour lui. Mais dès que je commence, je… » Sa voix se brisa.
Lina s’assit sur la chaise près du lit.
« Vous voulez que je vous aide ? »
La femme la regarda, surprise.
« Tu sais, moi, quand j’étais petite, ma mère m’a écrit une lettre qui a tout changé, dit Lina simplement. Elle n’était pas parfaite. Elle tremblait quand elle écrivait. Mais elle l’a faite. C’est ce qui compte. »
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