Le jour où des dizaines d’anciens pompiers ont enterré l’enfant que personne ne voulait accompagner

Des dizaines d’anciens pompiers ont accompagné un petit garçon que personne ne voulait enterrer, parce que son père était en prison pour meurtre.

Personne n’avait prévu que ce dernier hommage changerait aussi le destin de ce père, assis seul dans une cellule, persuadé qu’il n’avait plus aucune raison de continuer à vivre.


Quand les anciens pompiers ont enterré l’enfant que personne ne voulait accompagner

Le responsable des pompes funèbres nous avait appelés après être resté deux heures assis seul dans la petite chapelle, à attendre que quelqu’un – n’importe qui – vienne dire adieu au petit Louis Martin.

Louis avait dix ans. Il était mort d’une leucémie après trois années de traitement. Sa grand-mère était sa seule visiteuse régulière à l’hôpital. La veille de l’enterrement, elle avait fait un malaise cardiaque et se trouvait en réanimation.

Les services sociaux avaient expliqué qu’ils avaient “fait leur travail”.
La famille d’accueil répétait que “ce n’était pas à eux”.
Et la paroisse hésitait, de peur de réveiller un vieux scandale : le père de Louis était en prison, condamné pour un meurtre commis lors d’une bagarre alcoolisée.

Alors ce gamin, qui avait passé ses derniers mois à demander si son papa l’aimait encore, allait être enterré dans un carré anonyme, avec seulement un numéro sur une petite plaque métallique.

C’est à ce moment-là que Marc Leduc, qu’on appelait tous “Grand Marc”, président de l’association des Vieux Casques – une bande d’anciens sapeurs-pompiers qui continuaient à se retrouver pour des actions solidaires – a posé sa tasse de café.

“Chez nous, aucun enfant ne va dans la terre tout seul,” a-t-il dit simplement. “Peu importe qui est son père.”

Ce que nous ignorions, c’est qu’au même moment, dans une prison de haute sécurité à plusieurs dizaines de kilomètres, le père de Louis venait d’apprendre la mort de son fils. Seul sur son lit de cellule, il avait décidé que, dès la nuit tombée, il mettrait fin à ses jours.

Les surveillants l’avaient placé sous surveillance renforcée. Mais nous savions tous que, bien souvent, cela arrivait trop tard.

Ce qui allait se passer ensuite offrirait à un enfant défunt les adieux qu’il méritait… et redonnerait une raison de vivre à un homme qui pensait avoir tout perdu.


Je buvais mon café du matin au local de l’association, un ancien vestiaire de caserne que la mairie nous laissait utiliser, quand le téléphone a sonné.
À l’autre bout, la voix de Monsieur Delorme, patron des pompes funèbres du Parc, tremblait.

“Jean, excuse-moi de t’appeler, mais… j’ai besoin d’aide.”

C’est lui qui avait organisé les obsèques de ma femme cinq ans plus tôt. Il l’avait traitée avec une délicatesse incroyable alors que le cancer l’avait réduite à presque rien. Je lui devais quelque chose.

“Qu’est-ce qui se passe ?” ai-je demandé.

“J’ai un petit ici. Dix ans. Mort hier à l’hôpital. Et… personne n’est venu. Personne ne viendra.”

“Un enfant placé ?”

“Pire. Son père, c’est Stéphane Martin.”

Je connaissais le nom. Toute la région le connaissait.
Un soir de bar, un coup de trop, une bagarre, un homme mort. Le procès avait fait les gros titres. Condamnation à la perpétuité incompressible.

“Le gosse se battait contre une leucémie depuis trois ans,” a continué Delorme. “Sa grand-mère était tout ce qui lui restait. Elle a fait un infarctus hier. Elle est entre la vie et la mort. Les services sociaux veulent qu’on l’enterre rapidement. La famille d’accueil dit qu’elle préfère ‘tourner la page’. Même une partie de mon personnel refuse. Ils disent que c’est un mauvais présage, qu’accompagner le fils d’un meurtrier, ça attire les ennuis.”

Sa voix s’est brisée.

“Jean, j’ai juste besoin de gens pour porter le cercueil. Et… pour témoigner qu’il a existé. C’est un enfant. Il n’a rien choisi.”

Je me suis levé sans réfléchir.

“Laisse-moi une heure et demie,” ai-je répondu.

“Je ne voulais pas t’embarrasser,” a-t-il protesté. “Quatre personnes suffiraient…”

“Tu en auras plus que quatre,” ai-je coupé.

J’ai raccroché, puis j’ai frappé du poing sur la vieille table en bois qui nous servait de bureau. Tous les Vieux Casques présents ont levé la tête.

“Les gars,” ai-je dit, la gorge serrée. “Il y a un petit garçon de dix ans qui va être enterré tout à l’heure. Seul. Parce que son père est en prison pour meurtre. Le gamin est mort d’un cancer. Personne ne veut se montrer. Personne ne veut porter son cercueil. Personne ne veut être là.”

La pièce est devenue silencieuse comme un dimanche de novembre.

“Je vais à ses obsèques,” ai-je repris. “Je ne vous demande rien. Ce n’est pas une ‘mission officielle’. Mais si vous pensez, vous aussi, qu’aucun enfant ne devrait descendre en terre sans une main sur son cercueil, rejoignez-moi aux pompes funèbres du Parc dans une heure et demie.”

Pierre, qu’on appelait “L’Ours”, a murmuré le premier :

“Mon petit-fils a dix ans.”

“Ma petite-fille aussi,” a ajouté Malik, ancien chef d’agrès, les yeux déjà humides.

“Mon fils aurait eu dix ans,” a soufflé Laurent. “S’il avait survécu à l’accident de voiture…”

Il n’a pas terminé sa phrase. Il n’en avait pas besoin.

Grand Marc s’est levé, son dos encore raide malgré la retraite.

“On prévient les autres associations,” a-t-il déclaré. “Les motards pompiers, les anciens ambulanciers, les secouristes. Ce n’est ni une question de caserne, ni de grade, ni de médaille. C’est une question de dignité pour un enfant.”

Les appels sont partis dans tous les sens.
Les Casques Rouges Solidaires. Les Motards de la Garde Civile à la retraite. Une association d’anciens secouristes de montagne. Des groupes qui, parfois, ne s’adressaient plus la parole à cause de vieilles histoires d’égo, de tensions, d’animosités.

Mais lorsqu’ils ont entendu parler de Louis, de sa leucémie, de son enterrement prévu sans personne, tous ont répondu la même chose :

“On vient.”


Je suis arrivé le premier aux pompes funèbres pour parler à Delorme. Il se tenait dehors, devant la petite chapelle, avec un dossier dans la main, l’air d’un homme qui ne sait plus quoi faire.

“Jean, je ne voulais pas te mettre dans cette situation…” a-t-il commencé.

Le grondement l’a interrompu.

D’abord, ce furent quelques motos de nos membres encore en selle. Puis des voitures, des fourgonnettes blanches portant discrètement le logo d’anciennes brigades de secours, des véhicules de particuliers avec, sur le tableau de bord, de vieux casques de pompiers bien astiqués.

Les Vieux Casques sont arrivés à une trentaine.
Puis une vingtaine d’anciens ambulanciers.
Puis des motards gendarmes à la retraite.
Puis une petite délégation de bénévoles de sauvetage en mer en visite dans la région.

En moins de deux heures, le parking et les rues adjacentes étaient pleins d’hommes et de femmes en blousons usés, en vieilles vestes de feu, en parkas de secours délavées.

Delorme a regardé par-dessus mon épaule, stupéfait.

“Il doit y avoir plus de cent personnes…” a-t-il soufflé.

“Cent vingt-huit,” a corrigé Grand Marc, qui venait de nous rejoindre. “On a compté.”

Delorme nous a conduits dans la chapelle.
Au centre, sur deux tréteaux, se trouvait un petit cercueil blanc. À côté, un bouquet de fleurs un peu défraîchies, visiblement achetées en grande surface.

“C’est tout ?” a demandé doucement L’Ours.

“Les fleurs viennent de l’hôpital,” a admis Delorme. “Procédure standard.”

“On va faire mieux que la procédure standard,” a murmuré quelqu’un derrière moi.

Alors, en silence, les anciens pompiers et les autres sauveteurs ont commencé à s’approcher du cercueil.

Une femme a posé un petit camion de pompiers en plastique.
Un autre a déposé un ballon de foot.
Un vieil ambulancier a laissé un doudou usé qu’il gardait dans sa voiture pour rassurer les enfants.

Bientôt, le petit cercueil blanc a été entouré de jouets, de fleurs, de dessins d’enfants, de casques miniatures.
Quelqu’un a posé un petit gilet rouge sur le côté, avec un écusson brodé : “Petit Courageux”.

Mais c’est Jacques, ancien infirmier pompier, qui a fait craquer tout le monde.

Il s’est avancé avec une photo entre les doigts, l’a posée contre le cercueil et a dit, d’une voix qui tremblait :

“Lui, c’était mon fils. Il avait presque le même âge quand la leucémie l’a emporté. Je n’ai pas réussi à le sauver, Louis. Mais tu ne seras pas seul, là-haut. Il te montrera où sont les terrains de jeu.”

Après ça, les témoignages se sont succédé.
Personne ne pouvait vraiment parler de Louis – aucun d’entre nous ne l’avait connu.
Alors ils ont parlé de leurs propres enfants, des petits qu’ils avaient sortis d’appartements enfumés, de voitures broyées, de lits d’hôpitaux. Des enfants sauvés, des enfants perdus.
Ils ont parlé de l’injustice, de ce que ça fait d’être innocent et de payer pour les fautes des adultes.

Au milieu de tout ça, le téléphone portable de Delorme s’est mis à vibrer.

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