Il rentre plus tôt du bureau et découvre que l’employée de maison cache la vraie force de son fils

La question le prit de plein fouet. « Qu’est-ce qui te fait croire ça ? »

« Parce que tu avais ta voix sérieuse. Et maman se fâche souvent quand les dames de ménage font des choses qu’elle n’a pas demandé. »

Martin échangea un regard avec Samira, qui baissa de nouveau les yeux. Il se baissa à la hauteur de son fils.

« Lucas, est-ce que tu l’aimes bien, Samira ? »

« C’est ma meilleure amie, » répondit le petit sans hésiter.

« Et pourquoi c’est ta meilleure amie ? »

« Parce qu’elle joue avec moi, parce qu’elle écoute quand je parle, parce qu’elle n’est jamais pressée quand je suis lent. Et parce qu’elle croit que je peux marcher comme les autres. »

Les mots restèrent suspendus dans l’air. Martin sentit quelque chose se fissurer à l’intérieur.

« Et moi, Lucas ? Je suis ton ami aussi ? » demanda-t-il, presque malgré lui.

L’enfant hésita. Son regard se troubla. « Toi, t’es mon papa, » dit-il doucement. « Les papas, c’est important. Mais les amis, c’est ceux qui sont là. »

La phrase tomba comme une pierre. Martin avala difficilement sa salive.

« J’aimerais bien être ton ami aussi, » répondit-il au bout d’un moment. « Tu crois que tu pourrais m’apprendre comment faire ? »

Les yeux de Lucas s’illuminèrent. « Tu veux vraiment ? Pour de vrai ? »

« Pour de vrai. »

« Alors il faut que tu joues avec moi, que tu écoutes quand je parle, et que tu viennes voir mes exercices avec Samira. »

Martin sentit un sourire lui venir, un sourire fatigué mais sincère. « Marché conclu. Demain matin, je veux voir tout ça. »

« Demain ? Tu ne vas pas au travail ? »

« Demain, non. Demain, je reste ici. »

Lucas poussa un cri de joie et faillit tomber en voulant sauter sur place. Samira le rattrapa par réflexe.

Plus tard dans la soirée, quand Lucas dormait enfin et que l’appartement était de nouveau silencieux, Caroline rentra, son parfum sophistiqué devançant le bruit de ses talons.

« Tu es là tôt, ce soir, » dit-elle en le voyant assis dans le salon, sans ordinateur, sans dossier. « Il s’est passé quelque chose ? »

« Oui, » répondit Martin, « il s’est passé quelque chose. On doit parler de Lucas. Et de Samira. Et de nous. »

Elle leva les yeux au ciel, un peu lassée. « Martin, si c’est pour parler de nouveaux spécialistes, de nouvelles thérapies, je t’ai déjà dit… »

« Non. Pas de nouveaux médecins. De ce que Samira fait déjà avec lui. »

Caroline s’interrompit, surprise. « Tu es rentré assez tôt pour les voir ? »

Il hocha la tête. Elle alla poser son sac, retira ses chaussures et revint s’asseoir en face de lui.

Il lui raconta tout : Lucas sur ses petites béquilles, le chiffon à la main, les exercices, les cinq minutes debout, les mots de Samira. Il parla aussi du regard de son fils, de la phrase sur les papas et les amis. À mesure qu’il parlait, la mâchoire de Caroline se crispait, puis se détendait.

« Évidemment que je sais tout ça, » lâcha-t-elle enfin. « Tu crois que je suis aveugle ? Je vois bien qu’il progresse, qu’il est plus heureux. C’est pour ça que je laisse Samira faire. »

« Et pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ? » demanda Martin.

Elle se leva brusquement, fit quelques pas dans le salon comme une lionne enfermée. « Parce que tu n’es jamais là, Martin. Et quand tu es là, tu as toujours ton cerveau branché sur tes mails, sur les comptes, sur les médecins. Tu demandes si Lucas a pris ses médicaments, si la séance de kiné s’est bien passée, si les examens sont bons. Tu ne demandes jamais s’il a ri aujourd’hui. »

Martin encaissa sans répondre.

« Samira le fait rire, elle lui donne envie de se battre. Alors oui, je l’ai vue faire ses petits exercices, je n’ai rien dit, parce que ça faisait du bien à mon fils. Et parce que je n’avais plus la force de t’expliquer encore une fois ce que tu ne vois pas. »

Ils restèrent longtemps silencieux. Pour la première fois depuis des années, ils parlaient de Lucas sans écran, sans planning, sans médecins.

« Je veux que ça change, » dit Martin finalement.

Caroline eut un sourire fatigué. « Tu me l’as déjà dit. À la naissance. Au diagnostic. À chaque fois, le travail a gagné. »

« Demain matin, je serai là pour les exercices, » répondit-il simplement. « J’ai annulé mes réunions. »

Elle le fixa, incrédule. « Tu as annulé tes réunions ? Pour de vrai ? »

« Pour de vrai. »

Le lendemain, à 7 h 15, Martin était déjà dans la cuisine, en jean et pull, une tenue qu’il ne portait jamais en semaine. Samira, qui préparait le petit déjeuner, sursauta en le voyant entrer.

« Bonjour, Monsieur, vous êtes… matinal, aujourd’hui, » dit-elle avec un petit sourire gêné.

« Bonjour, Samira. Je voulais aider pour le petit déjeuner, si c’est possible, » répondit-il, lui-même surpris par sa phrase.

Elle resta un instant interdite. « Euh… Lucas adore les crêpes le matin quand on fait les exercices. Ça lui donne, dit-il, “de l’énergie de super-héros”. »

« Des crêpes, d’accord, » dit Martin. « Je ne savais pas. »

« Il ne te le dit pas, parce que tu pars avant qu’il ne se réveille, » répondit-elle, sans méchanceté, juste comme un constat.

Ils préparèrent la pâte ensemble. Martin observait la façon méthodique dont Samira cassait les œufs, mélangeait, rangeait au fur et à mesure. Elle n’improvisait pas : chaque geste semblait réfléchi, comme si elle prenait soin d’une petite cérémonie.

Lucas arriva peu après, en pyjama et en béquilles. Quand il vit son père dans la cuisine, il se figea.

« Tu n’es pas parti au bureau ? »

« Pas aujourd’hui, » répondit Martin. « Aujourd’hui, je viens voir comment travaille mon chevalier. »

Le sourire du petit illumina la pièce.

Après le petit déjeuner, ils descendirent tous les trois dans le petit jardin de la copropriété, un rectangle de pelouse que Martin n’avait presque jamais utilisé. Caroline regardait par la fenêtre du salon, un mug de café entre les mains, l’air encore partagé entre la méfiance et l’espoir.

Samira étendit un tapis sur l’herbe encore un peu humide. « On commence tout doux, comme d’habitude, d’accord Lucas ? On s’étire, on réveille les jambes. »

Martin s’assit à côté, les mains posées sur ses genoux, étonné d’être lui aussi assis par terre un mercredi matin. Lucas s’allongea, fit les mouvements que Samira lui montrait, avec une concentration sérieuse qui ne ressemblait pas à un simple jeu.

« Très bien, » dit Samira après quelques minutes. « Maintenant, on va travailler l’équilibre. Tu te souviens ? »

Lucas hocha la tête. Elle l’aida à se mettre debout. Les béquilles étaient juste à côté.

« On essaye trente secondes sans béquilles, comme hier, » expliqua-t-elle. « Si tu y arrives, demain on voit pour quarante-cinq. »

« Je peux essayer une minute entière ? » demanda Lucas, les yeux brillants.

« On verra plus tard, petit impatient. D’abord, on fait bien trente, » répondit-elle en riant.

Lucas lâcha les béquilles. Ses jambes tremblaient légèrement. Martin sentit son propre corps se tendre, comme s’il voulait le retenir par la pensée.

« Quinze secondes, » compta Samira. « Tu es très stable aujourd’hui. »

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