Il va parler à sa femme au cimetière et découvre un enfant qui l’appelle papa depuis des années

— J’ai des choses à régler. Reste ici. Ne sors pas, dit-il avant de claquer la porte.

Il marcha au hasard dans les rues, sans but. Il aurait pu aller travailler, s’engloutir dans ses dossiers. Mais même ses mails ne parvenaient plus à le distraire.

Quand il rentra, la nuit tombait.
L’appartement était plongé dans l’obscurité.
Léo n’était pas dans la chambre.
Il n’était pas non plus dans le salon.

Julien sentit la panique monter.
— Léo ?! appela-t-il.

Un courant d’air froid lui caressa la nuque.
La porte-fenêtre du petit balcon était entrouverte.

Il s’élança.
Léo était assis au sol, dans un coin, recroquevillé, la couverture enroulée autour de lui, les yeux perdus dans les lumières de la ville.

— Mais ça va pas ?! Tu veux attraper une pneumonie ? cria Julien en le tirant à l’intérieur.

L’enfant frissonnait de tous ses membres.

— C’est pas grave, répondit-il d’une voix blanche. Je serai prêt pour demain.

— Prêt pour quoi ?
— Pour… pour partir avec les gens de la maison, là. Comme ça, tu n’auras plus à t’occuper de moi.

Julien sentit quelque chose se briser en lui.
— Léo… je… j’ai été dur tout à l’heure. Je ne voulais pas…
— C’est pas grave, coupa l’enfant. C’est vrai. Je suis pas ton fils.

Les mots piquèrent plus fort que le vent.

— Ce n’est pas si simple, commença Julien.

Mais il n’avait rien à offrir d’autre que de la confusion.
Il finit par lâcher, à bout de nerfs :

— Je ne sais pas être père, d’accord ? Je ne sais pas comment on fait. Je n’y arrive déjà pas avec les adultes, alors…

Léo baissa la tête.
— Je comprends, dit-il.
Et il alla se coucher sans protester.

Julien resta seul dans le salon, le silence lui hurlant dessus.

Son regard se posa sur une petite boîte en bois, posée sur une étagère.
Il la connaissait bien : c’était celle où Claire rangeait ses petits trésors.
Il ne l’avait jamais ouverte depuis sa mort.

Les mains tremblantes, il la prit, l’ouvrit.
Des photos, un vieux bracelet, un billet de train plié…
Et une clé USB, étiquetée d’une écriture qu’il aurait reconnue entre mille.

« Pour Julien ».

Il resta longtemps à la regarder.
Puis il alla chercher son ordinateur, la brancha, et cliqua sur le seul fichier qu’elle contenait.

Le visage de Claire apparut à l’écran.
Dans leur ancien salon. Les cheveux en chignon, sans maquillage, les yeux cernés mais lumineux. Il sentit sa gorge se nouer.

— Julien… mon amour, dit-elle, la voix un peu hésitante.

Il faillit fermer l’ordinateur. La douleur était presque physique.
Mais il se força à rester.

— Si tu vois cette vidéo, c’est que tu as rencontré Léo. Et c’est que je ne suis plus là pour t’en parler. Je suis désolée de te mettre ça comme ça, continua-t-elle. J’ai essayé tellement de fois de t’en parler… Mais tu avais toujours un coup de fil, un dossier, une urgence. Je ne voulais pas que tu apprennes son existence entre deux rendez-vous, comme une note dans ton agenda.

Elle essuya une larme, puis sourit.

— Quand je l’ai vu pour la première fois au foyer, j’ai su. Il m’a rappelé… toi, quand tu fais semblant d’être dur alors que tu as le cœur le plus tendre du monde. Il a tellement manqué de choses… Je ne pouvais pas regarder ailleurs. Alors j’ai commencé les démarches. Je me suis dit que j’aurais le temps de t’en parler. Que le bon moment viendrait. Je me suis trompée.

Elle inspira.

— Je sais ce que tu es en train de te dire. « Je ne suis pas fait pour être père. Je vais tout rater. » C’est faux, Julien. Tu ne t’en rends pas compte, mais c’est toi qui m’as appris ce que c’est, prendre soin de quelqu’un. Tu m’as portée pendant mes traitements, tu as tout géré sans te plaindre… Tu en es capable. Léo a besoin d’un endroit où poser ses valises. Et toi, tu as besoin de quelqu’un qui fasse du bruit dans cet appartement trop vide.

Elle eut un petit rire.

— Je ne te demande pas d’être parfait. Juste… de lui laisser une chance. De te laisser une chance, à toi aussi. L’amour, ce n’est pas que le sang. C’est ce qu’on choisit, jour après jour.

La vidéo se coupa.
L’écran redevint noir.

Julien resta là, secoué de sanglots silencieux.
La sensation de trahison qu’il entretenait depuis la veille disparut, remplacée par quelque chose de plus dur encore : un regret écrasant. Il comprit enfin ce que Claire avait essayé de lui offrir : pas seulement un fils… mais une façon de sortir de son propre deuil.

Il resta longtemps immobile.
Puis il essuya ses joues, se leva et alla jusqu’à la porte de la chambre d’ami.

Léo dormait, épuisé, roulé en boule, la photo de Claire coincée sous son oreiller.
Julien le regarda respirer, longtemps, comme s’il découvrait un monde nouveau.

Une décision se forma en lui. Pas une impulsion.
Un vrai choix.


Au petit matin, il secoua doucement l’épaule de Léo.

— Hé, dit-il. Réveille-toi.

L’enfant ouvrit les yeux, aussitôt sur la défensive.
— Ils arrivent ? demanda-t-il. Les gens de la maison ?

— Non, répondit Julien calmement. Et ils ne viendront pas. J’ai appelé mon avocat. J’ai annulé.

Léo le regarda comme s’il ne comprenait pas la langue.
— Pourquoi ? souffla-t-il.

Julien s’assit au bord du lit.
— Parce que j’ai fait une erreur, dit-il. Parce que… j’ai eu peur. Parce que c’est plus facile de te laisser à d’autres que d’assumer ce que Claire avait commencé. Mais je ne veux plus fuir. Si tu es d’accord, je voudrais que tu restes ici. Pas pour quelques jours. Pour de bon.

Les yeux de Léo se remplirent d’un espoir tellement fragile que Julien eut peur de le briser en respirant.

— Pour… de vrai ?
— Oui, répondit-il. Je vais lancer les démarches pour t’adopter. Officiellement. Si toi, tu le veux.

Léo serra la couverture entre ses mains.
— Et si… un jour, tu en as marre de moi ? murmura-t-il.

Julien sentit sa gorge se serrer.
— Alors on en parlera. Mais je ne te laisserai pas tomber. C’est fini, ça. Plus de valises à refaire, plus de foyers, plus de familles d’accueil qui changent. Ici, c’est chez toi maintenant.

Léo le fixa encore un moment, comme s’il cherchait un piège, puis hocha très lentement la tête.

Les jours suivants furent maladroits.
Julien ne savait pas « comment faire ». Il brûla des crêpes, choisit des jeux trop compliqués, oublia d’acheter du chocolat en poudre mais ramena un énorme paquet de crayons de couleur parce qu’il avait vu les yeux de Léo briller devant le rayon.

Léo, lui, observait tout, toujours sur le qui-vive.
Un mot de travers, un geste brusque, et il se repliait aussitôt, comme un petit animal blessé.

Une semaine plus tard, Julien prit un après-midi pour aller chez son avocat, Léo à ses côtés.
La main du petit tremblait dans la sienne.

— Tu es obligé ? demanda-t-il devant l’entrée de l’immeuble.
— Obligé de quoi ?
— De signer… les papiers. Si tu changes d’avis, c’est… c’est maintenant, non ?

Julien s’accroupit pour être à sa hauteur.
— J’ai déjà décidé, répondit-il. Je ne reviendrai pas en arrière. On y va ?

Léo hocha la tête, sans pour autant se détendre.

Ils signèrent les premiers documents, ceux qui lançaient officiellement la procédure.
À la sortie, le ciel était bas, menaçant de neige.

La nuit suivante, Julien se réveilla en sursaut, avec cette sensation étrange qu’il manquait quelque chose.

Il se leva, traversa le couloir pieds nus.
La chambre de Léo était vide.

Le lit était parfaitement fait.
Ses quelques vêtements soigneusement pliés.

Le cœur de Julien s’emballa.
Il ouvrit le placard : le vieux sac à dos de Léo avait disparu.

Il se précipita, enfila ses chaussures sans manteau et descendit les escaliers quatre à quatre.
Dehors, l’air était glacé. Il regarda à droite, à gauche.

Plus loin, sur le trottoir, une petite silhouette avançait d’un pas décidé, sac sur le dos, en direction de l’arrêt de bus.

— Léo ! cria-t-il.

L’enfant se retourna, effrayé, puis accéléra.
Julien se mit à courir, le rattrapa, lui attrapa l’épaule.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu vas où ?!

Léo évita son regard.

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