Ils filmaient le bus qui coulait, eux ont sauté : l’incroyable jour où des ex-détenus ont sauvé 23 enfants

Ils n’avaient plus le droit de se tromper.
Vingt-trois enfants de maternelle étaient enfermés dans un bus qui coulait, et les seuls adultes qui ont sauté dans l’eau n’étaient ni pompiers, ni gendarmes… mais une bande d’anciens voyous tatoués que tout le quartier appelait “les types à éviter”.

Je les ai vus sauter avant même de comprendre ce qui se passait.


Le bus scolaire était déjà à moitié sous l’eau.
La rivière, gonflée par un orage d’été, avait débordé si vite que la route départementale s’était transformée en torrent de boue. Les voitures s’étaient arrêtées n’importe comment, certains sortaient leurs téléphones pour filmer.

Eux, ils n’ont pas sorti leurs téléphones.

Le plus grand, un colosse à la barbe poivre et sel, a nagé jusqu’à l’arrière du bus. Il a frappé de toutes ses forces la sortie de secours avec ses poings nus. À chaque coup, je voyais le sang se mêler à l’eau marron.
Derrière lui, les autres formaient une chaîne humaine, en se tenant par les épaules pour ne pas être emportés par le courant qui avait déjà avalé trois voitures.

Sur le toit du bus, la maîtresse tremblait, debout, les pieds dans l’eau glacée qui montait.

— Ne touchez pas à mes élèves ! hurlait-elle. J’ai appelé les secours ! Les vrais sauveurs arrivent !

Mais les seuls sauveurs, à ce moment-là, c’étaient ces hommes en blousons noirs, marqués dans le dos du nom de leur association : “Deuxième Chance”.
Une bande d’anciens détenus qui gèrent un garage solidaire à l’entrée de la ville, et que tout le monde regarde de travers au supermarché.

Leurs blousons étaient trempés et lourds. Leurs vans étaient abandonnés sur le pont.
Et eux se battaient contre l’eau pour atteindre ces petits enfermés dans ce cercueil jaune.

L’eau montait d’un centimètre toutes les trente secondes.
Les cris des enfants couvraient presque le grondement de la crue.

C’est alors qu’une petite fille, cinq ans à peine, a plaqué son visage contre la vitre et a crié la phrase qui a fait basculer tout le monde dans la folie :

Mon frère est sous l’eau ! Il sait pas nager ! Il bouge plus !

Le colosse qu’on appelait Malik a plongé par la vitre cassée à l’intérieur du bus.
Il n’est pas remonté.
Le bus s’est mis à basculer, l’emportant lui et l’enfant vers le fond.


Je m’appelle Claire, j’ai quarante-six ans, et ce jour-là je rentrais simplement du travail.

Le ciel s’était ouvert d’un coup. Une pluie épaisse, comme un rideau.
La radio parlait d’un “épisode orageux exceptionnel”, d’une crue centennale. Mais à la radio, ça paraît toujours lointain. Ça ne le devient réel que quand on voit l’eau monter devant ses roues.

La route qui longe la petite rivière, à la sortie de notre ville de province, est devenue un canal. Les bouches d’égout débordaient. Les voitures commençaient à flotter plus qu’à rouler.

J’ai réussi à hisser ma petite voiture sur le pont, juste avant que l’eau ne recouvre la chaussée. En me penchant par la fenêtre, je l’ai vu : le bus de l’école maternelle Jean-Moulin, dévié par le courant, coincé de travers contre une barrière en béton.

Il penchait déjà dangereusement.

Sur le toit, la maîtresse, Mme Lenoir, hurlait dans son téléphone. Elle n’avait pas l’air blessée.
Mais elle ne redescendait pas.
Les enfants, eux, étaient encore à l’intérieur.

D’autres automobilistes s’étaient arrêtés. Certains filmaient. D’autres criaient des conseils inutiles. Personne ne descendait du pont.

C’est à ce moment-là qu’un convoi de trois vieux fourgons a déboulé. On les reconnaissait de loin : les fourgons du garage associatif “Deuxième Chance”.

Ils se sont garés en travers, ont claqué les portières et se sont avancés, sans même se parler. Ils voyaient la même chose que nous : un bus plein d’enfants qui allait se renverser.

Malik, l’ancien chef de bande, le géant aux mains couvertes de tatouages de prison, a enlevé son blouson et a sauté du pont, quatre mètres plus bas, dans l’eau boueuse.

— Non ! a crié Mme Lenoir. N’approchez pas ! Vous n’êtes pas autorisés ! Les pompiers arrivent !

Mais Malik n’écoutait pas. Le courant essayait déjà de le tirer vers l’aval.
Il s’est accroché au pare-chocs du bus, a pris appui et s’est hissé jusqu’à la porte.

— Ouvrez ! a-t-il rugi.

— J’ai pas les clés ! a hurlé la maîtresse. Le chauffeur les avait !

Le chauffeur, on l’a appris plus tard, avait pris la fuite dès les premières grosses vagues. Il avait laissé les enfants enfermés.

Malik n’a pas perdu de temps à discuter.
Il a nagé jusqu’à l’arrière du bus et s’est mis à frapper sur la vitre anti-panique. Le verre de sécurité ne se casse pas facilement. Très vite, ses mains sont devenues rouge vif. Mais il continuait.

Derrière lui, Sam, Youssef, Fred, Karim… Ces hommes aux surnoms de quartier que les parents tiennent à distance de leurs enfants formaient une chaîne. L’un tenait le pont, un autre tenait sa main, un troisième la sienne, et ainsi de suite jusqu’au bus, pour ne pas que le courant emporte tout le monde.

Dans le bus, les enfants montaient sur les sièges. Les plus petits pleuraient. Certains murmuraient des prières qu’ils avaient sûrement entendues à la maison ou à la télé, les mains jointes, les yeux fermés.

C’est là que la petite Lila a crié pour son frère.

Le petit Amir, trois ans, n’aurait pas dû être là.
On l’a su plus tard : leur mère, auxiliaire de vie, travaillait sur deux communes et n’avait pas trouvé de solution de garde. Lila l’avait “aidée” en cachant son frère dans le bus, entre deux rangées de sièges.

Quand l’eau est entrée, le petit garçon a été le premier submergé.

Malik a poussé un dernier coup monstrueux contre la vitre. Elle a cédé dans un vacarme assourdissant. L’eau s’est engouffrée d’un coup. Le sang de Malik s’est mêlé à la boue.

— Sortez-les ! a-t-il hurlé à ses amis. Maintenant !

Ils ont commencé à faire passer les enfants par l’ouverture. De bras en bras, de la vitre jusqu’au pont, la chaîne humaine s’animait. Ces hommes massifs, au crâne rasé, aux bras couverts d’encre et d’histoires pas toujours nettes, portaient ces petits comme des porcelaines.

Sam pleurait en serrant une petite fille contre lui.

— Ça va, ma puce… Ça va, t’es avec nous, murmurait-il. On te lâchera pas.

L’eau arrivait maintenant aux vitres. Le bus gémissait, grinçait, prêt à céder.

À l’intérieur, Malik plongeait, remontait, plongeait encore, les yeux ouverts dans cette eau pleine de terre et de verre. Il cherchait Amir.
Ses mains entaillées laissaient des traînées rouges. Je me suis dit qu’il allait tomber dans les pommes.

Sur le toit, Mme Lenoir était toujours figée, le téléphone collé à l’oreille.

— Ce sont d’anciens délinquants ! criait-elle à celui ou celle qui lui répondait. Ils touchent les enfants ! Envoyez la police !

— Madame, fermez-la et aidez ! lui a lancé Fred en recevant un autre petit dans ses bras.

Mais elle ne bougeait pas. Peut-être de peur. Peut-être par obsession du règlement. Peut-être les deux.

Le bus a de nouveau bougé. Un bruit de métal tordu. Il allait se retourner.

Tout le monde dehors ! a rugi Malik de l’intérieur. Ça va lâcher !

Il n’est pas sorti.
Il a plongé encore une fois.

Le dernier enfant visible a été arraché par la fenêtre. Vingt-deux sauvés.
Mais Malik était toujours dedans. Et Amir aussi.

Le bus a penché d’un coup. L’eau a recouvert la fenêtre brisée. Le torrent s’est engouffré, l’aspirant vers le fond.

— Malik ! a hurlé Youssef. Sors de là !

Rien.
Juste l’eau boueuse.

Puis, cinquante mètres plus bas, je les ai vus.

Sam nageait comme un fou, tirant quelque chose de lourd. Malik. Et dans les bras de Malik, un petit corps inerte. Amir.
Ils filaient droit vers un pilier en béton. Le choc pouvait les tuer.

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