La dernière mission d’un vieux chien fidèle quand la nuit de l’oubli tombe sur nous

J’ai reculé, assise sur mes talons, les larmes brûlant mes yeux. J’étais seule. Snoopy n’était pas là pour l’apaiser. C’est à ce moment-là que la sonnette a retenti.

J’ai hésité, puis j’ai ouvert. Un jeune homme se tenait là. La trentaine, carré d’épaules, une casquette vissée sur la tête.

« Bonjour Madame Lefebvre, » a-t-il dit avec un sourire timide. « C’est Lucas. Lucas Martin. »

« Lucas ? »

« J’ai appris… pour Snoopy. Et pour l’accident d’Henri. Ma mère m’a raconté. Je suis de passage, je voulais juste… enfin, voir comment ça allait. »

Il a regardé par-dessus mon épaule vers le salon.

« Il est tombé ? »

Sans attendre, il est entré. Il s’est dirigé vers Henri avec une assurance naturelle.

« Alors Coach ? On fait du tacle glissé dans le salon maintenant ? »

Henri s’est arrêté de marmonner. Il a levé les yeux.

« Martin ? C’est toi ? T’es en retard à l’entraînement. »

Lucas a souri, d’une douceur incroyable.

« Désolé Coach. Crevaison. Allez, on se relève. Le match n’est pas fini. »

Avec une facilité déconcertante, Lucas a hissé Henri sur le fauteuil. Il a gardé sa dignité intacte. Lucas est resté deux heures. Il a écouté Henri raconter ses vieux matchs. Pour la première fois, j’ai pu boire un café chaud, seule dans la cuisine.

Quand Lucas est venu me voir avant de partir, il avait l’air ému.

« Il ne va pas bien, hein ? » a-t-il chuchoté.

« Non, Lucas. Ça décline vite. »

Il a trituré sa casquette.

« Vous savez, Madame Lefebvre… Henri a été comme un père pour moi. Il m’a appris à ne pas baisser les bras. Je suis revenu habiter au village. Je peux passer. Tous les deux jours. Après le boulot. »

« Tu travailles, Lucas, tu as ta vie… »

« C’est Henri qui m’a appris que l’équipe passe avant tout, » m’a-t-il coupé doucement. « Et là, l’équipe, elle a besoin d’aide. »

J’ai repensé au carnet. Appelle des renforts. J’ai regardé ce jeune homme devenu adulte, l’héritage vivant d’Henri.

« D’accord, Lucas. Merci. »

Les semaines qui ont suivi n’ont pas été miraculeuses, mais il y a eu Lucas. Et puis la mère de Lucas, et l’ancien facteur. Le village a franchi le seuil de notre porte. Comme si la disparition de Snoopy avait envoyé un signal silencieux : « Le gardien est parti, à vous de prendre la relève. »

Un soir d’avril, il faisait particulièrement doux. Henri était dans son fauteuil, calme. Je me suis assise à côté de lui, prenant sa main.

« Il fait beau pour jouer, » a-t-il murmuré.

« Oui, Henri. Il fait très beau. »

Il a tourné la tête vers moi. Pour la première fois depuis longtemps, ses yeux étaient clairs. Il m’a vue. Vraiment vue.

« Tu es fatiguée, ma grande, » a-t-il dit.

Les larmes me sont montées aux yeux. C’était lui.

« Un peu, oui. »

Il a regardé vers le coin vide, là où était le panier du chien. Il a souri, un sourire paisible.

« Il m’attend, tu sais. Il est juste sur la touche. Il garde ma place au chaud. »

« Pas tout de suite, Henri. Pas tout de suite. »

« Non, » a-t-il acquiescé. « Pas ce soir. Ce soir, je reste avec toi. Lucas vient demain ? »

« Oui, il vient demain. »

« Bien. C’est un bon gamin. Il a une bonne conduite de balle. »

Il a refermé les yeux et s’est endormi. J’ai gardé sa main dans la mienne. Le silence était toujours là, mais il n’était plus hostile. C’était un silence rempli par la bienveillance des voisins et l’écho d’un vieux chien loyal.

J’ai regardé par la fenêtre. Dans le reflet de la vitre, j’ai cru voir, juste une fraction de seconde, une silhouette familière assise sur la terrasse, veillant sur nous. J’ai levé mon verre de vin imaginaire.

« Merci, Snoopy, » ai-je chuchoté. « Repos, mon chien. On prend la suite. »

Cette nuit-là, j’ai dormi d’une traite. Dehors, le printemps commençait enfin à gagner sa bataille contre l’hiver. Nous étions usés, nous étions vieux, mais nous n’étions plus seuls dans le froid.

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