— Espèce de petite… tu as amené du monde ici ?! a-t-il craché.
Sa main a glissé vers sa ceinture, où son holster était dissimulé sous sa veste.
Il n’a pas eu le temps d’attraper l’arme.
Quatre de nos motards, dont Karim, ancien judoka, se sont jetés sur lui.
Ils ne l’ont pas frappé. Ils l’ont plaqué au sol, immobilisé les bras, genoux sur les poignets.
— On ne bouge plus, monsieur, a dit Yves d’une voix calme mais ferme.
L’homme s’est débattu.
— Vous êtes fous ! Je suis policier ! Vous n’avez pas le droit ! Je vais vous faire tomber pour séquestration, violence, tout ce que vous voulez !
— On verra ça après, a répondu Yves. Pour l’instant, c’est nous qui appelons.
Il a composé le 17, en donnant très clairement son identité, celle de l’association, la situation, l’enfant, le dessin, la terre fraîchement retournée.
Pendant ce temps, Lina s’est approchée.
Elle regardait l’homme maintenu au sol. Ses mains tremblaient, mais ses yeux étaient durs.
Elle a levé sa petite main et lui a montré la butte de terre. Puis elle a posé sa main sur sa propre gorge, comme pour dire : « C’est ce que tu voulais faire de moi aussi. »
Il a détourné le regard.
Je voyais, de là où j’étais, une fine cicatrice sur son cou à elle, comme un souvenir d’étranglement.
Les gendarmes sont arrivés très vite.
Trois voitures, gyrophares allumés, puis un officier plus âgé, l’air grave.
Ils ont d’abord voulu nous faire lâcher l’homme. Yves a insisté :
— On ne résiste pas. On vous le laisse. On demande juste que vous regardiez d’abord ce dessin, puis cette terre, puis les marques sur la fillette, avant d’écouter sa version, à lui.
L’officier a pris le dessin. À mesure qu’il lisait, ses traits se durcissaient.
Il a levé les yeux.
— Lieutenant Moreau, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? a-t-il demandé à l’homme qu’on venait de menotter.
— Commandant, ces gens m’ont agressé ! Cette gamine est instable, elle invente des choses depuis des mois, vous le savez bien ! Sa sœur a fugué, on n’a jamais retrouvé de trace.
Lina secouait la tête avec frénésie.
Claire s’est accroupie et a murmuré :
— Lina, tu peux montrer avec tes mains ?
L’enfant a commencé à faire des gestes. Pas vraiment de la langue des signes, mais des mouvements clairs. Elle mimait quelqu’un qui frappe, puis quelqu’un qui étouffe, puis elle montrait le sol.
Une jeune gendarme, qui connaissait un peu la LSF, s’est approchée et a traduit à voix basse. À mesure qu’elle parlait, le commandant blêmissait.
Ils ont sécurisé la zone, pris des photos, posé des balises.
Puis ils ont commencé à creuser, avec précaution, avec des gants, à distance de la butte pour ne pas tout détruire.
Nous, on est restés en arrière avec Lina. On ne lui a rien montré.
On a simplement entendu le moment où un des gendarmes a lâché, d’une voix étouffée :
— On a quelque chose…
Lina s’est effondrée contre moi, son petit corps secoué de sanglots silencieux.
Je lui ai caché les yeux avec ma main. Elle n’avait pas besoin de voir.
La suite, je l’ai vécue comme un long tunnel.
Les secours sont arrivés, les techniciens en identification criminelle, le médecin légiste.
On nous a posé des questions, noté nos identités, pris nos témoignages. Lina a été emmenée à l’hôpital pour des examens. Claire et Pierre ont insisté pour l’accompagner.
On a appris son histoire par bribes.
Sa sœur, Sarah, huit ans, avait été déclarée « en fugue » quelques jours plus tôt. Les deux fillettes étaient placées depuis plus d’un an chez ce fameux assistant familial, qui était aussi policier.
La mère, en grande difficulté, avait perdu leur garde.
On avait fait confiance au dossier inoxydable d’un « homme de loi expérimenté, engagé, stable ».
Personne n’avait voulu voir les signaux.
À l’hôpital, on a découvert que Lina n’était pas muette de naissance.
Elle avait des séquelles à la gorge, comme si on avait tenté de la serrer trop fort un jour, abîmant son larynx.
Il lui restait un souffle rauque, quelques sons brisés, mais aucune phrase possible.
Alors elle avait dessiné.
Encore et encore.
Des cartes, des cabanons, des lits, des portes fermées.
Jusqu’au jour où elle a compris qu’elle pouvait s’échapper et trouver quelqu’un pour regarder vraiment son dessin.
Quelqu’un qui l’écouterait sans qu’elle ouvre la bouche.
Ce jour-là, c’est tombé sur moi.
Sur nous.
Un an plus tard, nous étions tous au tribunal.
Lina était assise au premier rang, entre Claire et Pierre. Elle portait une robe jaune pâle, des baskets neuves, et un petit foulard coloré autour du cou.
Son visage restait grave, mais ses yeux n’avaient plus cette panique permanente.
Elle ne vivait plus dans cette maison.
Après plusieurs mois de foyer, c’est Claire et Pierre qui avaient demandé à l’accueillir, d’abord en famille d’accueil, puis en adoption simple.
Ce ne fut pas facile.
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