Je n’ai pas baissé les yeux.
— Celui qui détourne de l’argent de l’entreprise Marchand depuis des années, ai-je repris, ce n’est pas la « petite comptable » que ta sœur méprise.
— C’est ta sœur elle-même. Élise.
Un murmure a parcouru le jardin.
Élise a éclaté de rire, un peu trop fort.
— Tu es folle, Claire. Pourquoi j’irais voler ma propre famille ?
J’ai levé mon téléphone.
— Tu te souviens quand tu m’as dit : « Tu devrais te mettre un peu au courant des chiffres, ça rassurera papa » ?
— J’ai pris cette phrase au sérieux. J’ai demandé des accès aux comptes. Aux factures. Aux journaux comptables.
Je regardais maintenant les invités, un par un.
— J’ai passé des soirées entières à vérifier. À rapprocher les virements, les factures, les sociétés « prestataires ».
— J’ai vu des paiements pour des travaux jamais réalisés, des honoraires versés à de petites sociétés créées il y a quelques mois à peine.
Je me suis tournée vers Thomas.
— Au début, j’ai cru à des erreurs. Puis j’ai vu le même schéma revenir. Les mêmes IBAN. Les mêmes adresses.
Je me suis rapprochée d’Élise.
— Et devine à qui appartiennent ces « sociétés » ?
— À un cabinet d’avocats bien discret, à Lyon. Celui où travaille ton petit ami que personne ne connaît.
Le teint d’Élise a changé.
Plus de rouge sur ses joues. Juste un blanc livide.
— Tu mens, a-t-elle soufflé.
— On peut appeler la police tout de suite, si tu veux, ai-je répondu calmement.
— On peut tout leur donner. Mes tableaux, tes « factures », les relevés officiels. Ils verront très vite qui ment.
Thomas avait l’air d’un homme qu’on aurait frappé une deuxième fois.
— Élise ? a-t-il murmuré.
Elle a secoué la tête, mais ses yeux fuyaient.
— Tu vas vraiment la croire, elle ? Tu la connais à peine. Moi, je suis ta sœur !
Je l’ai regardée longuement.
— Tu as commencé petit, n’est-ce pas ? Quelques milliers d’euros par-ci par-là.
— Et puis plus. Encore plus. Parce que ton père t’a coupé les vivres quand tu as tout dépensé, parce que les dettes de jeu ne disparaissent pas toutes seules.
J’ai revu les chiffres dans ma tête, les colonnes, les totaux.
— Au total, plus de trois millions d’euros se sont volatilisés en quelques années.
— Et devine à quel moment tout a commencé à ralentir ?
— Quand moi, « la petite comptable », je suis entrée dans ta famille.
Le silence était devenu lourd, presque matériel.
Le père de Thomas s’est avancé, le visage fermé.
— C’est vrai ? a-t-il demandé à sa fille.
— Dis-moi que ce n’est pas vrai.
Élise a ouvert la bouche. Aucun son n’est sorti.
Elle a regardé autour d’elle, comme une bête acculée.
Puis, soudain, son expression a changé. Un masque est tombé.
— Vous ne méritiez pas moins, a-t-elle murmuré.
— Tous.
Sa voix était basse, mais on l’entendait parfaitement.
— Tu crois quoi, papa ? Que je n’ai pas vu comment tu regardais Thomas, « le sauveur de l’entreprise », ton fils parfait ?
— Et moi ? Toujours trop dépensière, trop fragile, trop « encombrante ».
Elle s’est tournée vers moi.
— Et toi… Tu es arrivée avec tes grands yeux blessés et ta robe H&M, comme un petit chat abandonné.
— Tu m’as prise pour qui ? Tu pensais vraiment que j’allais te laisser prendre ta place dans ce décor, tranquillement, sans rien dire ?
Elle a relevé le menton.
— Alors oui. J’ai fait en sorte qu’il doute. J’ai cherché tout ce que je pouvais sur toi. J’ai fouillé ton passé. J’ai monté ce dossier.
— Et quand j’ai vu qu’il était prêt à signer sa vie avec toi, j’ai donné le dernier coup de couteau.
Elle a regardé Thomas.
— Tu voulais la vérité ? La voilà.
Je crois que c’est là, exactement là, que quelque chose s’est brisé définitivement en lui.
Il a reculé d’un pas, comme s’il la voyait pour la première fois.
— Tu as… tu as fabriqué ces preuves ?
— Tu n’as eu besoin de presque rien pour me croire, a-t-elle répondu doucement.
— C’est ça, le plus triste dans cette histoire.
Elle s’est tournée vers moi.
— Tu vois, Claire, je n’ai fait que révéler ce qui était déjà là. Sa peur. Son incapacité à faire confiance.
Elle a souri, un sourire sans joie.
— Le reste… c’était facile.
Je sentais que mes mains tremblaient, mais ma voix, elle, était stable.
— Tu sais quoi, Élise ?
— Tu as peut-être préparé ce piège. Mais tu as oublié un détail.
Je me suis adressée à Thomas, mais aussi à tous les témoins figés autour de nous.
— On est en France. Il y a des juges, des contrôles, des enquêtes.
— Et je ne vais pas me défendre en coulisses, dans ta cuisine, avec des repas de famille où tout se règle à demi-mots.
Je me suis redressée.
Ma joue me lançait, mon cœur cognait, mais je sentais une force nouvelle monter en moi.
— Je vais déposer plainte. Officiellement.
— Je vais remettre mon audit, mes preuves, mes tableaux.
— Et on verra bien qui a vraiment détourné de l’argent.
Je me suis tue une seconde. Puis j’ai ajouté :
— Mais d’abord, je vais faire une chose très simple.
J’ai regardé Thomas.
Son visage était défait, ses yeux pleins de larmes qu’il n’osait pas laisser tomber.
— Tout à l’heure, tu m’as frappée, ai-je dit calmement.
— Devant ton père, ta sœur, tes amis, mes collègues.
— Tu ne m’as pas posé une seule question. Tu ne m’as pas laissé une seule minute pour répondre.
Je me suis entendu parler comme si j’écoutais quelqu’un d’autre.
— Tu as choisi de croire le pire de moi. Sans hésitation.
— Tu as levé la main sur ta femme. Sur la mère de ton enfant.
Un nouveau murmure a parcouru les invités.
Thomas a blêmi.
— Ton enf…
— Oui, ai-je coupé.
— Je suis enceinte. D’un peu plus de deux mois.
Des larmes ont brûlé le coin de mes yeux, mais cette fois, c’était de la rage, de la fatigue, de la tristesse mêlées.
— Je voulais te le dire ce soir. J’avais tout préparé.
— Mais tu sais quoi ? Je suis presque soulagée que ça sorte maintenant.
Je lui ai lancé un regard que je savais dur.
— Parce que maintenant, je sais exactement quel genre de père tu serais pour cet enfant.
Je me suis tournée vers la foule.
— Merci à tous d’être venus.
— Désolée pour ce… spectacle.
— Mais en un sens, je suis contente que vous ayez vu.
Je sentais le tissu lourd de ma robe peser sur mes jambes, mes chaussures me faire mal.
— Vous avez vu ce que vaut la confiance dans cette famille.
— Vous avez vu ce que Thomas est capable de faire quand il a peur.
Je me suis adressée à lui une dernière fois.
Clique sur le bouton ci-dessous pour lire la suite de l’histoire. ⏬⏬
