Le matin où un vieux panier en osier a réécrit ma vie sans prévenir

Elle me fait entrer, appelle un taxi, presque sans me consulter.

Elle parle vite, donne l’adresse de l’hôpital.

Minou, lui, s’est glissé dans l’embrasure de la porte, comme s’il refusait de me quitter du regard.

— Tu viens de me sauver la vie, toi, je souffle, sans savoir si je parle à lui ou à Louise.

Le diagnostic, quelques heures plus tard, tombe :

rien d’immédiatement mortel, un sérieux avertissement.

Le cœur, la tension, le stress qui s’accumule.

“Il faudra surveiller, monsieur. Changer quelques habitudes. Vous avez quelqu’un à la maison ?”

Je pense aux quatre silhouettes à poils qui m’attendent derrière la porte.

Je pense à Minou sur ma poitrine, à cinq heures du matin.

— Oui, je dis. On va dire que oui.

Quand je rentre chez moi, le soir, il fait déjà nuit.

Louise m’accompagne jusqu’à la porte.

— Je passerai voir demain, d’accord ?

Et s’ils t’embêtent avec les chats, on fera une pétition dans l’immeuble. On signera tous ceux qui ont déjà demandé du sucre ou du sel chez toi.

Je ris.

— Ça va faire une longue liste.

Elle me regarde plus sérieusement.

— Tu te rends compte que s’il n’avait pas été là, ce matin…

Elle ne finit pas sa phrase.

Elle n’a pas besoin.

À peine la porte est-elle ouverte que je me retrouve encerclé.

Moka se frotte à mes jambes, Plume miaule comme si je revenais de la guerre, Grisou, lui, fait semblant de s’étirer, mais ses yeux disent autre chose.

Minou, d’abord en retrait, finit par approcher.

Il renifle ma main, puis, comme s’il cochait une case imaginaire, retourne s’installer sur le fauteuil près de la fenêtre.

Je regarde la note de Bernard, dans son vieux cadre en plastique, posée sur l’étagère.

“Merci à celui ou celle qui lui ouvrira sa maison.”

Je m’approche, prends un crayon.

Sous “Promesse tenue”, j’ajoute, presque sans réfléchir :

“Et merci à celui qui m’a gardé en vie en retour.”

Les jours suivants, une chose étrange se produit dans l’immeuble.

Les voisins se mettent à me parler.

La dame du premier, qui ne disait jamais bonjour, me demande des nouvelles de “votre petit chat jaune, celui du monsieur qui n’est plus là”.

Le jeune du cinquième, toujours avec ses écouteurs, s’arrête dans l’escalier pour caresser Plume quand je descends les poubelles.

Même la directrice de l’immeuble, un matin, hésite devant sa note placardée, puis la retire discrètement.

— On va reformuler, dit-elle en évitant mon regard.

Disons… “veuillez veiller à ce que vos animaux ne dérangent pas le voisinage”. C’est plus… souple.

Je ne commente pas.

Mais en remontant les marches, je souris.

Le soir, j’ouvre la fenêtre.

La ville bruisse de voitures, de sirènes, de conversations qui montent des terrasses.

Dans mon salon, quatre chats se répartissent les fauteuils et les coussins comme si chacun avait signé un bail.

Minou, lui, garde sa place près de la fenêtre.

Il ferme les yeux, sûr que cette fois, la maison ne va pas disparaître pendant qu’il dort.

Je m’assois en face de lui, un carnet sur les genoux.

Je trace une ligne, puis une autre.

Ce n’est pas un testament, pas encore.

Juste quelques phrases.

“Si un jour je ne rentre plus, je vous en prie, ne laissez pas mes chats seuls…”

Je m’arrête là, le stylo suspendu.

Je n’ai pas besoin d’écrire la suite tout de suite.

Je lève la tête.

Quatre paires d’yeux me regardent, curieux.

Je me dis que, parfois, la vie a une façon bizarre de compter :

un vieux monsieur meurt au troisième, et son chat empêche peut-être un autre homme du quatrième de partir trop tôt.

Et dans un monde où tout augmente, où on nous répète de réduire, de couper, de renoncer,

je fais le calcul le plus simple de ma vie :

une gamelle de plus,
un peu de pâte en moins,
et beaucoup, beaucoup moins de solitude.

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