— Un motard comme famille d’accueil ? Aucun juge sérieux n’acceptera ça.
— Le juge de permanence cette nuit s’appelle madame Leroy, a répondu Claire. Et je sais, pour l’avoir vue travailler, qu’elle ne se laisse pas impressionner par les grands noms.
Le visage de Martel s’est tendu.
— Ce n’est pas terminé.
— Non, ai-je répondu. Ça commence.
Quand le corps de la mère de Louis a été emmené, quand les constats ont été faits, quand les gendarmes sont repartis avec leurs procès-verbaux, il ne restait plus que le gamin et moi, dans la lumière crue d’un petit resto encore ouvert à l’aube.
Il attaquait une montagne de crêpes comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours.
— Ta maman nous a appelés les anges, ai-je dit. Tu sais pourquoi ?
— Elle a rencontré un ange motard, une fois, quand j’étais bébé, a-t-il répondu la bouche pleine. Papa la frappait et un motard s’est arrêté. Il lui a donné une carte avec un numéro, il a dit : « Si un jour tu as peur, appelle-nous. » Mais Papa a trouvé la carte et il l’a brûlée.
— Elle se souvenait de nous quand même.
— Elle disait que les motards, ça fait peur aux gens, mais pas aux méchants. Les méchants ont peur d’eux.
— On n’est pas des anges, Louis. On est juste des types sur des motos qui essaient de faire ce qu’ils peuvent.
— Elle disait que les anges n’avaient pas toujours des ailes. Des fois, ils ont des casques.
Le matin même, la juge Leroy a placé Louis chez moi en urgence, pour soixante-douze heures d’abord, le temps de vérifier. Martel a contesté, bien sûr.
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que Camille — la mère de Louis, c’est comme ça qu’elle s’appelait — n’était pas seulement courageuse. Elle était aussi organisée.
Depuis des mois, elle enregistrait ses conversations avec Antoine. Des fichiers audio sur un compte en ligne, des captures d’écran, des photos de bleus, des copies de menaces écrites. Quelques heures avant de quitter l’appartement avec son fils, elle avait tout envoyé à une journaliste d’un site d’info indépendant, avec un message clair : « Si je me tais pour toujours, publiez. »
Trois jours plus tard, l’affaire a éclaté en pleine une : « Un avocat connu de la région mis en cause pour violences graves. » Les enregistrements étaient insoutenables. On entendait sa voix à lui, posée, froide :
« Personne ne te croira. Je connais tout le monde ici. Tu n’es rien. Quand tu seras morte, je dirai que tu étais fragile, malade. Et notre fils m’appartiendra. »
On ne voyait pas de sang, on ne voyait pas de coups, mais on entendait la peur dans la voix de Camille. Et ça suffisait.
Antoine Martel a été arrêté dans les locaux mêmes où il aimait donner des interviews. Lui qui souriait toujours aux caméras, il les fuyait maintenant.
Mais ce n’est pas là que l’histoire s’arrête.
Le procès, des mois plus tard, a été un véritable cirque médiatique. Martel avait les meilleurs avocats de Paris. Ils ont parlé d’une épouse « fragile », de jalousie, de manipulations, de montages audio. Ils ont tout essayé pour faire d’elle une menteuse.
Et puis il y avait Louis.
Un petit garçon de six ans qu’on devait faire venir au tribunal, asseoir dans une grande salle froide devant des gens en robe noire, et lui demander de raconter sa pire nuit.
La veille, il m’a pris la main.
— Je ne veux pas, Tonton. S’il me voit, il va encore me menacer.
— Je serai là, ai-je répondu. Moi et tous les Loups.
— Tous les… anges ?
— Tous les anges avec des motos.
Ce jour-là, nous étions quarante-deux à nous présenter au palais de justice. Tous en jean propre, gilet sur le bras, tatouages bien rangés sous les manches. On ne rentrait pas tous dans la salle, mais on occupait le couloir, l’escalier, le parvis. Une muraille de cuirs et de regards décidés.
Louis m’a cherché du regard quand il est entré dans la salle d’audience. Quand il m’a trouvé, il a respiré un grand coup.
— Louis, a demandé la présidente du tribunal d’une voix étonnamment douce, tu te sens capable de raconter ce que tu as vu ?
— Oui, madame, a répondu le petit.
Il a parlé sans cris, sans effets, avec des mots d’enfant.
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