Le soir de mon mariage, j’ai vu ma belle-mère empoisonner ma coupe… et j’ai échangé les verres

Dehors, les flashs ont crépit é. Les micros se sont tendus.

— Madame Ashour, un mot sur le jugement ?
— Est-ce que vous pensez pouvoir pardonner un jour ?
— Que dites-vous à celles et ceux qui pensent que la justice a été trop dure avec votre belle-mère ?

Julien a passé un bras autour de mes épaules.

— Nous ne ferons aucun commentaire, a-t-il dit calmement. Nous voulons juste reprendre une vie normale.

Une vie normale.

À cet instant précis, ça ressemblait à un rêve lointain. Mais pour la première fois depuis des mois, il m’a semblé que ce rêve n’était plus complètement hors de portée.

On n’avait pas encore quitté le palais de justice que les premiers articles étaient déjà en ligne.

« Une mère de famille condamnée pour avoir drogué sa belle-fille le soir du mariage. »
« Trois ans de prison pour une belle-mère trop possessive. »

Les journalistes adoraient l’expression. « Belle-mère toxique ». Ça faisait un bon titre.

Martine, elle, est partie directement en détention. Menottée, encadrée par deux gendarmes, le tailleur gris soudain trop grand sur ses épaules. Je l’ai regardée s’éloigner sans rien ressentir de clair : ni joie, ni triomphe. Juste une sorte de grande fatigue.


Les jours suivants, la vie a continué… sans vraiment continuer.

Mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer. Des numéros inconnus, des messages de soutien, d’autres beaucoup moins gentils. Certaines « amies » de Martine m’accusaient à demi-mot d’être allée « trop loin », de « détruire une famille ».

— Elle l’a fait toute seule, ta belle-mère, répétait Sophie en roulant des yeux. Tu n’as fait que dire la vérité.

Mais la vérité a un coût. Je l’ai découvert très vite.

Au collège, même si mon proviseur m’avait assurée de son soutien, les regards avaient changé. Pas partout, pas chez tout le monde. Mais suffisamment pour que je le sente. Quelques parents me dévisageaient, certains élèves chuchotaient quand j’entrais en classe.

— Madame, c’est vrai que votre belle-mère est en prison ? m’a demandé un jour un élève de troisième, les yeux grands ouverts.

J’ai inspiré, posé mon stylo, regardé la classe.

— Oui, ai-je répondu simplement. Et non, on n’en parlera pas ici. Ici, on est là pour travailler. On laisse les histoires privées à la porte, d’accord ?

Certains ont hoché la tête avec un sérieux presque adulte. D’autres ont détourné les yeux, gênés. À partir de ce jour-là, le sujet s’est peu à peu éteint au collège. À l’extérieur, c’était plus lent.

Le père de Julien, lui, n’a pas tenu longtemps.

Moins d’un an après le procès, il a demandé le divorce.

— Il ne supporte pas de voir son nom associé à cette histoire, m’a expliqué Julien un soir, en déposant son sac dans l’entrée. Il dit qu’il « ne reconnaît plus » maman, qu’elle a tordu tout ce qu’ils avaient construit.

— Et toi ? ai-je demandé. Tu la reconnais encore ?

Il a réfléchi longtemps.

— C’est ça, le pire, a-t-il fini par dire. Oui. Je la reconnais. C’est exactement elle. Toute sa vie, elle a voulu contrôler l’image, la façade. Quand elle a vu que tu ne rentrais pas dans le cadre, elle a essayé de t’en éjecter. C’est la même logique, poussée au maximum.

Gérard est parti s’installer dans le Sud, dans un petit appartement près de la mer. Il nous envoyait parfois des messages polis, des vœux, mais il n’a jamais vraiment cherché à reconstruire quoi que ce soit avec nous. C’était plus simple pour lui de s’éloigner de tout, je suppose.

Lucas, en revanche, a été balayé par la tempête.

Il avait vingt ans à peine. Sa mère en prison, son père parti, son frère aîné pris en étau entre sa femme et le reste du monde.

— Je ne sais plus qui je suis, avouait-il en fixant son café sur notre table de cuisine. Fils de criminelle ? Frère du mari de la victime ? Juste… Lucas ? J’ai l’impression d’être défini par cette histoire.

Julien lui avait proposé de venir habiter chez nous le temps qu’il se reprenne. Il a accepté. Il a enchaîné les insomnies, les crises de colère, puis les moments d’abattement. On l’a aidé à trouver un psychologue, puis une formation qui lui parlait.

Quelques années plus tard, il est devenu éducateur spécialisé.

— Je sais ce que c’est, les familles qui se fracassent, m’a-t-il dit un jour en souriant tristement. Si je peux éviter à quelques gamins de porter seuls le poids des erreurs des adultes, ce sera déjà ça.

Je l’ai pris dans mes bras, fière de lui comme d’un petit frère.


Quant à nous… On a tenu. Mais ça n’a pas été simple.

Julien avait beau me croire, m’aimer, se tenir clairement de mon côté, il restait en lui des couches entières de culpabilité, de loyauté abîmée, de colère rentrée.

Nous avons commencé une thérapie de couple, puis chacun une thérapie individuelle.

La première fois que la psy m’a demandé :

— Que représente pour vous l’image de la belle-mère ?,

j’ai eu envie de rire et de pleurer à la fois.

— Une ombre, ai-je dit. Un écran entre moi et mon mari, entre moi et ma propre confiance. Pendant longtemps, dès que j’étais heureuse, j’entendais une petite voix : « Attention, on peut te couper les jambes à n’importe quel moment. »

Julien, lui, a découvert à quel point il avait été façonné dès l’enfance.

— Je croyais juste avoir une mère exigeante, expliquait-il lors des séances. En réalité, j’obéissais à des règles invisibles. Il fallait que tout soit parfait : les notes, les amis, la carrière, la future épouse… Quand j’ai choisi Claire, c’était la première fois que je faisais un choix pour moi, pas pour l’image.

— Et votre mère l’a vécu comme une trahison, résumait la psy.

Il hochait la tête, les yeux brillants.

— J’ai mis du temps à le voir. Mais oui. Et le pire, c’est que, pendant quelques heures, à l’hôpital, j’ai failli la croire elle plutôt que Claire. Rien que ça, j’ai du mal à me le pardonner.

J’ai posé ma main sur la sienne.

— Ce qui compte, ce n’est pas comment tu as réagi au choc, lui disais-je. C’est ce que tu as fait une fois que tu as eu les faits. Tu as regardé la vidéo. Tu as choisi la vérité. Tu m’as choisie, nous as choisis, au lieu de te réfugier dans le déni.

Il a fini par me croire. Petit à petit.


Après la condamnation, Martine a passé un peu plus de deux ans en prison. Elle a bénéficié d’un aménagement de peine pour bonne conduite. Je ne l’ai pas revue. Je ne l’ai ni appelée, ni écrit.

Je savais par Lucas qu’elle suivait une thérapie, qu’elle participait à des groupes de parole.

— Elle dit qu’elle a compris ce qu’elle a fait, me confiait-il un soir. Qu’elle a voulu « posséder » ses enfants au lieu de les aimer. Qu’elle a confondu sa peur d’être seule avec de l’amour.

Je l’écoutais sans répondre. Ce que Martine faisait de sa prise de conscience, c’était son affaire. La mienne, c’était de continuer à avancer.

Julien, lui, ne voulait pas lui parler.

— Pas maintenant, répétait-il quand Lucas lui proposait de l’appeler. Peut-être un jour. Mais là, je n’ai rien à lui dire.

Un jour, Lucas nous a annoncé qu’elle travaillait dans une petite association après sa sortie, comme secrétaire.

— Elle vit dans un deux-pièces, a-t-il ajouté. Plus de grand pavillon, plus de dîners mondains. En gros, elle repart de zéro.

Je n’ai pas éprouvé de satisfaction malsaine. Juste cette impression que le monde avait, pour une fois, remis les choses à peu près à l’endroit. Elle avait tout misé sur le contrôle, l’apparence, le statut. Elle avait tout perdu.

De notre côté, nous avons reconstruit autre chose.


Trois ans après le procès, nous avons quitté la ville où tout s’était passé.

Pas pour fuir. Enfin, pas seulement. Julien avait une opportunité professionnelle dans une autre région, et moi, j’avais envie de recommencer dans un collège où je ne serais pas « la prof dont la belle-mère est passée aux infos ».

Nous avons trouvé une petite maison avec un jardin dans une ville moyenne. Rien de luxueux. Une façade claire, deux étages, un morceau de pelouse, un cerisier au fond. Le genre de maison où l’on imagine des vélos d’enfants appuyés contre le mur.

Le jour où nous avons signé l’acte chez le notaire, j’ai ressenti quelque chose d’étrange. Pas de l’euphorie. Plutôt un soulagement profond.

— On dirait que, pour la première fois, on construit quelque chose qui ne doit rien à personne, ai-je soufflé en sortant.

— Exactement, a répondu Julien en serrant mes doigts. Pas à mes parents. Pas à leur argent, ni à leur nom. Juste à nous deux.

C’est dans cette maison que, quelques mois plus tard, j’ai appris que j’étais enceinte.

Je n’arrivais pas à y croire. J’avais fait le test en cachette, un matin, avant d’aller au travail. Deux petites barres roses avaient apparu. Je me suis assise au bord de la baignoire, le test dans la main, le cœur qui battait à tout rompre.

Toute la journée, j’ai porté ce secret comme un trésor fragile, entre deux copies à corriger, deux mots à des parents, deux récréations. Le soir, j’ai préparé le dîner comme d’habitude, en attendant que Julien rentre.

Quand il est arrivé, fatigué mais souriant, je lui ai tendu une petite enveloppe.

— C’est quoi ? a-t-il demandé, surpris.

— Un truc que j’ai trouvé, ai-je dit, incapable de cacher mon sourire nerveux. Ouvre.

Il a déchiré l’enveloppe, a regardé le test quelques secondes. Je voyais ses neurones se connecter lentement.

Puis ses yeux se sont agrandis.

— Claire… C’est… ?

J’ai hoché la tête, incapable de parler.

Il a posé le test sur la table, m’a attrapée par la taille et m’a fait tourner dans la cuisine comme dans un film, en riant et en pleurant à la fois.

— On va avoir un bébé ! répétait-il. Mon Dieu, on va avoir un bébé !

J’étais heureuse. Vraiment. Mais j’étais aussi terrifiée.

Et si je devenais comme elle ?
Et si, un jour, ma peur de perdre mon enfant me poussait, moi aussi, à l’enfermer, à le manipuler ?

J’en ai parlé à notre psy.

— La première condition pour ne pas reproduire un schéma, m’a-t-elle dit, c’est précisément de savoir qu’il existe. Vous avez des modèles différents autour de vous : vos parents, par exemple. Vous savez ce que vous ne voulez pas être. Vous avez déjà fait la moitié du chemin.

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