Le lendemain, j’ai frappé chez la voisine avec un petit plateau de biscuits encore tièdes.
— Pour vos enfants, ai-je dit.
Et… pour m’excuser. Je crois que je défends un peu trop ce vieux chat.
Elle a ri, un peu surprise.
— On pourrait… le voir, ce fameux Marcel ? a demandé une petite voix derrière elle.
Deux têtes d’enfants se sont glissées dans l’embrasure de la porte.
Je les ai invités à venir sur le porche.
Marcel les a observés avec son air blasé, puis a daigné s’approcher, boitant, pour se frotter à leurs mains malhabiles.
— Il est moche, a déclaré le plus petit.
— Oui, ai-je admis. Mais il est moche de la plus belle des façons.
Ils ont éclaté de rire.
Ce jour-là, j’ai compris autre chose :
On peut hériter des murs de quelqu’un.
Mais on peut aussi hériter de ses erreurs… ou décider de les transformer.
L’hiver suivant, Marcel a disparu une nuit entière.
La panique m’a pris à la gorge comme une main.
Je l’ai appelé dans la rue, fouillé les jardins, interrogé les voisins.
Rien.
Une part de moi voulait le garder enfermé depuis longtemps.
Comme un trésor.
Comme une assurance contre la solitude.
Mais, au fond, j’avais toujours respecté ce que Monsieur Delorme avait cherché à faire :
Ne pas l’apprivoiser au point de le condamner.
Au petit matin, trempé, les doigts engourdis, je me suis assis sur la marche du porche.
La même où le vieux chassait le chat, autrefois.
Et c’est là que je l’ai vu revenir.
Tranquille.
Le pelage couvert de poussière, des toiles d’araignée accrochées aux moustaches.
Il s’est arrêté devant moi, m’a regardé comme pour dire :
« J’ai encore des coins du monde à voir, tu sais. »
Je l’ai pris dans mes bras.
Il sentait le vieux bois et la liberté.
— Tu peux sortir, ai-je murmuré contre sa fourrure.
Mais promets-moi une chose : reviens toujours un peu.
Nous vivons ainsi, aujourd’hui.
Entre liberté et foyer.
Entre héritage et choix nouveaux.
Dans l’entrée, j’ai accroché la photo de Monsieur Delorme jeune, le chaton sur les épaules de son fils.
Juste à côté de la gamelle de Marcel.
Parfois, le soir, quand le vent s’engouffre sous la porte et fait grincer la maison, j’ai l’impression d’entendre le vieux maugréer sur le porche.
Alors je pose ma tasse.
Je gratte derrière l’oreille abîmée de Marcel.
Et je me dis que, quelque part, il serait peut-être soulagé de savoir que son plan bancal a fonctionné :
Le chat survit.
La maison tient debout.
Et quelqu’un, enfin, a appris à aimer sans juger… et sans vouloir tout contrôler.






