« Oui. Et j’ai… changé d’avis. »
Elle a caressé le museau de Buddy.
« Heureusement. Il a l’air… chez lui. »
Le maire m’a fait signe de monter sur la petite estrade improvisée – deux palettes et une planche.
Je n’aime pas parler en public.
Mes mains tremblaient presque autant que celles de Buddy devant le refuge, des mois plus tôt.
Mais quand j’ai senti son flanc contre ma jambe, j’ai trouvé les mots.
« Je ne suis pas un héros, ni un exemple, » ai-je commencé.
« Je suis juste un vieil homme qui a eu peur de la solitude. J’ai fait une promesse à mon meilleur ami, Luc. Une promesse que je n’ai pas tenue. Il voulait que son chien aille au refuge, ici, chez vous. »
Quelques têtes se sont tournées vers le stand.
Les bénévoles écoutaient en silence.
« J’ai conduit Buddy jusque sur votre parking, » ai-je continué.
« J’avais les papiers dans une main, la laisse dans l’autre. Tout était prêt. Et puis… j’ai vu ses yeux. J’ai compris que ce n’était pas seulement un chien qu’on laissait. C’était une histoire. Une histoire commune. »
Je me suis arrêté un instant.
Le vent jouait avec un coin de la banderole.
« Alors j’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait de ma vie : j’ai désobéi à une promesse, pour en tenir une autre que je ne connaissais pas encore. Celle de ne pas laisser Buddy finir sa vie seul. Et, en retour, il m’a fait la même promesse. »
Je me suis tourné vers lui.
Il m’a regardé avec cette patience infinie que seuls les chiens et certains vieux amis possèdent.
« Je sais que les refuges font un travail formidable, » ai-je ajouté, en regardant les bénévoles.
« Ils sauvent des animaux chaque jour. Mais parfois, ce sont les animaux qui nous sauvent. Alors, si vous hésitez à en adopter un… ne pensez pas seulement à ce que vous lui offrez. Pensez à ce qu’il pourrait vous rendre. »
Quand j’ai quitté l’estrade, les applaudissements n’étaient pas tonitruants.
Ils étaient simples, sincères.
Des mains calleuses, des mains ridées, des mains jeunes.
Émilie est venue se coller à Buddy, presque aussitôt.
« Quand je serai grande, moi aussi, j’adopterai un vieux chien » a-t-elle déclaré avec sérieux.
J’ai senti mes yeux piquer.
Ce soir-là, de retour à la maison, je me suis assis dans le fauteuil du salon.
Buddy s’est installé sur sa couverture, près du radiateur.
Le tic-tac de l’horloge résonnait, comme avant.
Mais ce n’était plus le même silence.
J’ai regardé le fauteuil vide où Luc s’asseyait autrefois quand il venait prendre un café.
« Tu vois, vieux, » ai-je murmuré, sans savoir si je parlais à Luc ou à Buddy,
« ta maison n’est plus trop grande. Elle n’est plus trop silencieuse. Elle est juste… à la bonne taille pour un vieil homme, un vieux chien, et les souvenirs d’un ami. »
Buddy a levé la tête, puis l’a reposée sur ses pattes.
Et j’ai compris que, tant qu’il serait là, je ne serais plus jamais vraiment seul.






