Je suis sortie de son bureau avec le testament dans un dossier, et une sensation étrange : pour la première fois depuis la mort de Paul, je tenais quelque chose de solide entre mes mains.
Ce même après-midi, alors que j’étais encore dans le bus pour retourner à l’hôtel, mon téléphone s’est mis à vibrer.
Claire.
Je n’ai pas décroché tout de suite. Je la connaissais assez pour savoir qu’elle ne m’appelait pas par hasard.
Le téléphone a cessé de sonner.
Puis il a recommencé.
Encore et encore.
À la quatrième tentative, j’ai répondu.
— « Allô ? »
— « Maman ? Mais où tu es ? » Sa voix était tendue, presque aiguë. « Qu’est-ce que tu as fait ? La banque refuse mes virements, ma carte ne passe plus, et on m’a dit qu’un notaire avait envoyé des documents ! »
Je me trouvais à ce moment-là dans la rue, près d’un arrêt. Je me suis mise un peu à l’écart, dos à un mur.
— « J’étais chez Maître Bernard, » ai-je dit calmement. « Il m’a lu le testament de ton père. Le vrai. Pas celui que tu m’as raconté. »
Un silence brutal de l’autre côté.
— « Maman, tu ne comprends pas, » a-t-elle commencé. « Tout ça est très compliqué, il y a des choses que le notaire ne t’a pas expliquées, et… »
Je l’ai interrompue doucement, mais fermement :
— « Claire. Le testament dit que la maison est à moi. Il dit aussi que je dois recevoir la majorité des économies de ton père. Et il prévoit un million pour toi… à condition que tu me respectes et que tu ne me mettes jamais en difficulté. Tu m’as mise à la porte avec 200 euros en poche. Tu as décidé pour moi d’un hôtel en bord de rocade. En faisant cela, tu as perdu ce que ton père te réservait. »
Elle a inspiré bruyamment.
— « C’est du chantage, c’est ça ? Tu veux me punir ? »
— « Non, Claire. C’est ton père qui a prévu cette clause. Moi, je découvre tout comme toi. »
Sa voix a changé de registre. Elle est passée de l’agacement à une inquiétude réelle.
— « Et maintenant ? »
— « Maintenant, j’ai demandé au notaire de faire respecter le testament. Les comptes sont bloqués en attendant, la maison ne peut pas être vendue ni occupée sans mon accord. Et je vais quitter l’hôtel. »
— « Où tu vas aller ? » a-t-elle demandé, comme si j’étais soudain devenue un problème à gérer.
— « Chez moi, » ai-je répondu. « Là où tu m’as mise dehors. »
J’ai raccroché.
Pour la première fois de ma vie, j’avais clos une conversation avec ma fille sans m’excuser, sans minimiser, sans dire « ce n’est pas grave ».
Ce n’était pas agréable.
Ce n’était pas léger.
Mais c’était nécessaire.
Le lendemain matin, j’ai rendu la clé de l’hôtel, mis mes deux valises dans un taxi, et demandé :
— « 24, chemin des Glycines, s’il vous plaît. »
Le chauffeur a mis le compteur en route sans un mot. Moi, je regardais défiler les entrepôts, les panneaux, puis les maisons familières.
Quand la voiture s’est arrêtée devant ma maison, j’ai ressenti un mélange de joie et de tristesse.
Les volets étaient déjà ouverts. La voiture de Claire était là, garée devant le portail.
Elle m’attendait sur le trottoir, les bras croisés, pâle, les traits tirés. Thomas n’était pas visible.
Je suis sortie du taxi, j’ai payé, puis j’ai pris ma valise.
— « Maman, on doit parler, » a-t-elle lancé aussitôt.
— « Oui, » ai-je répondu. « Mais cette fois, on va parler chez moi. »
Je me suis avancée vers le portail. Elle m’a bloqué le passage d’un geste réflexe, comme si elle réalisait enfin ce qui était en train de se passer.
— « Tu ne vas pas vraiment… »
Je l’ai regardée droit dans les yeux.
— « Claire, cette maison m’appartient légalement. Tu l’as su, tu l’as caché, et tu m’en as chassée. Tu vas maintenant sortir de mon chemin. »
Il y a eu un très court instant où j’ai vu dans son regard la petite fille qu’elle avait été. Celle qui avait peur du noir et qui venait se glisser dans notre lit.
Puis c’est redevenu la femme pressée, qui n’aime pas qu’on lui résiste.
Elle s’est écartée.
J’ai ouvert le portail. Le grincement familier m’a presque fait monter les larmes aux yeux.
Dans l’entrée, il y avait déjà des cartons, des sacs, des piles de vêtements qui n’étaient pas les miens. Sur le buffet, un mug avec le logo d’une grande banque, sûrement à Thomas.
— « Tu comptes tout jeter ? » a demandé Claire, derrière moi.
— « Ce n’est pas à toi de décider, » ai-je répondu. « Mais oui, une partie va partir. Et le reste sera rangé dans des cartons, avec ton nom dessus. Tu viendras les récupérer quand tu pourras. »
Elle a éclaté :
— « Quand je pourrai ? Mais tu réalises que tu es en train de détruire ma vie ? On a tout organisé pour venir ici, on a refusé un autre appartement, les enfants étaient contents à l’idée d’avoir un jardin… Et maintenant, tu changes tout du jour au lendemain ! »
Je me suis tournée vers elle.
— « Tu m’as mise à la porte en trois heures, Claire. Sans me demander mon avis, sans même me laisser le temps de respirer. Tu as appelé un hôtel, tu as préparé mes valises, tu m’as donné quelques billets comme si j’étais une inconnue. Tu n’as pas eu beaucoup d’états d’âme pour détruire ma vie. »
Elle a serré les lèvres, les yeux brillants.
— « C’est différent. Je pensais à ton bien. »
Je n’ai même pas eu la force de discuter cette phrase. Je l’ai laissée flotter dans l’air, absurde.
Le surlendemain, sur les conseils de Maître Bernard, je suis allée au commissariat pour déposer plainte.
Je n’étais pas là pour me venger.
J’étais là pour laisser une trace officielle, comme il disait.
L’agent qui m’a reçue, une femme d’une quarantaine d’années, a pris son temps, m’a fait répéter doucement les faits.
— « Votre fille vous a fait croire que vous n’aviez droit à rien, alors que vous étiez héritière principale. Elle vous a éloignée de votre domicile, en vous plaçant à l’hôtel avec très peu de moyens. Cela peut effectivement s’apparenter à un abus de faiblesse, madame, surtout si vous étiez en période de deuil. »
Elle a rempli un formulaire, m’a posé des questions simples.
À la fin, elle a dit :
— « On va transmettre au parquet. Il y aura peut-être une enquête, une convocation. Cela peut prendre du temps. Mais vous avez bien fait de venir. Ce genre de situation est plus fréquent qu’on ne le croit. »
Je suis sortie du commissariat avec un étrange sentiment de gravité.
Je n’avais jamais imaginé, un jour, prononcer le nom de ma propre fille dans une plainte.
Cette nuit-là, j’ai dormi dans mon lit, dans la chambre que je partageais autrefois avec Paul.
J’ai pleuré, oui.
Mais j’ai dormi. Vraiment.
Quelques jours plus tard, un recommandé est arrivé pour Claire. Maître Bernard me l’avait expliqué : c’était la lettre officielle confirmant que le million prévu pour elle était désormais réattribué à moi, conformément à la clause du testament.
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