Claire resta silencieuse.
Sa formation lui avait appris à ne jamais en dire plus que nécessaire, surtout à propos de ce qui touchait à certaines missions.
Dubois remarqua le léger tressaillement dans son regard au mot “commandos”.
— Je me trompe ? demanda-t-il, toujours calmement.
Vous n’êtes pas seulement ce qui est écrit dans ce dossier, n’est-ce pas ?
Claire inspira par le nez, lentement.
Elle sentait la ligne invisible qu’elle n’avait pas le droit de franchir sans autorisation.
— Maître, dit-elle enfin, je crois que je dois passer un coup de fil avant de pouvoir vous répondre.
À des personnes qui sont… au courant de certains détails que ce dossier ne mentionne pas.
Dubois la regarda longuement, puis hocha la tête.
— Très bien, matelot Martin, fit-il en poussant son téléphone vers elle.
Appelez qui vous devez appeler.
Je ne suis pas pressé, mais je veux comprendre ce qui se passe sur ma base.
Claire prit le combiné.
Elle composa un numéro qu’elle connaissait par cœur, mais qu’elle espérait ne jamais avoir à utiliser dans ce contexte.
Au deuxième bip, une voix neutre répondit :
— Oui ?
Claire serra un peu plus fort le téléphone.
— Ici Alouette 7, dit-elle calmement.
Couverture compromise. Besoin d’instructions immédiates.
La voix au bout du fil resta calme.
— Reçu, Alouette 7. Restez en ligne.
Claire entendit un clavier qu’on manipulait, des voix à peine étouffées au second plan.
Quelqu’un, loin de Toulon, était en train d’ouvrir un autre dossier que celui posé devant le maître principal Dubois.
Après quelques longues secondes, la même voix revint :
— Alouette 7, vous êtes autorisée à confirmer votre statut à l’adjudant principal qui se trouve avec vous.
Votre couverture sur cette base est considérée comme compromise.
Votre mission principale est suspendue, mais vous restez sous ordre.
— Compris, répondit Claire.
Et pour l’incident de ce matin ?
— Il sera classé en légitime défense. Les autorités locales recevront des consignes dans l’heure.
Vous ne ferez l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
Cependant, préparez-vous à un changement d’affectation prochainement.
— Bien reçu.
La ligne se coupa.
Dubois, qui attendait devant la porte, revint dans le bureau quand elle l’y invita.
Il s’assit, sans la quitter des yeux.
— Alors ? demanda-t-il.
Claire posa délicatement le combiné sur son socle.
— Maître, dit-elle, vous aviez raison.
Je ne suis pas seulement spécialiste en logistique.
J’appartiens à une unité spéciale de la Marine.
Le reste est classifié, et je n’ai pas le droit d’en parler en détail.
Le visage du maître principal ne montra pas de surprise, plutôt la confirmation de ce qu’il avait déjà deviné.
— Une unité spéciale… répéta-t-il doucement.
Oui, ça se voyait dans chacun de vos gestes.
Il soupira, croisa les mains sur le bureau.
— Vous comprenez que ce qui s’est passé va faire du bruit, matelot Martin.
Il y avait des téléphones partout…
Comme pour lui donner raison, quelqu’un frappa à la porte.
Un jeune quartier-maître entra, une tablette à la main.
— Maître, je pense que vous devriez voir ça, dit-il en tendant l’appareil.
Sur l’écran, une vidéo tremblante montrait le réfectoire.
On voyait Lucas et les autres encerclant Claire, on entendait quelques insultes, puis, soudain, tout s’enchaînait : la prise de poignet, le coup dans le plexus, la chute sur la table, la projection.
La vidéo se terminait sur un plan fixe de Claire au milieu des chaises renversées.
— Celle-ci vient d’un groupe de discussion entre marins, expliqua le quartier-maître.
Mais elle circule déjà sur d’autres réseaux.
On parle de “la matelote qui met quatre types au sol en moins d’une minute”.
Dubois serra la mâchoire.
— Ça va sortir de la base, marmonna-t-il.
Et très vite.
Claire regarda l’écran sans ciller.
Elle savait ce que cela signifiait : elle ne serait plus jamais complètement anonyme.
Quelques heures plus tard, au bureau du commandant de la base, l’ambiance était tendue.
La capitaine de vaisseau Morel, une femme au regard clair, tenait son téléphone à la main.
Il vibre sans arrêt sur le bureau.
— Encore deux appels de l’état-major, grommela-t-elle.
Et un message d’un journaliste qui “voudrait un commentaire” sur une vidéo qui tourne partout.
À côté d’elle, un commandant examinait des imprimés.
— Les quatre jeunes ont été identifiés sur les réseaux, expliqua-t-il.
Certains internautes les insultent, d’autres leur souhaitent “de payer cher ce qu’ils ont fait”.
On parle même de menaces.
La capitaine Morel se pinça l’arête du nez.
— Très bien. On va prendre ça au sérieux.
Ils ont commis une erreur grave, mais ils restent des jeunes militaires sous notre responsabilité.
On les protège, autant qu’on les sanctionne si besoin.
Elle se tourna vers le maître principal Dubois, assis en face d’elle.
— Et Martin ?
— Mis à part quelques bleus aux mains, elle va bien, répondit-il.
Elle a fait preuve d’un sang-froid et d’une maîtrise impressionnants.
J’ai rarement vu quelqu’un utiliser une telle technique avec si peu de dégâts.
Il marqua une pause.
— Et, capitaine… son dossier n’est pas complet.
Disons qu’elle n’est pas seulement ce qu’on croit.
Le regard de Morel se fit plus perçant.
— Je m’en doutais, dit-elle.
On m’a appelé de très haut ce matin pour me dire qu’une “collaboratrice particulière” était momentanément inutilisable dans sa mission initiale.
J’imagine que c’est elle.
Dubois hocha simplement la tête.
Pendant ce temps, dans une salle de réunion aux stores tirés, Claire se tenait devant un écran où apparaissaient plusieurs visages en visioconférence :
des officiers de la Marine, un représentant d’un service de renseignement, une femme en civil qui ne se présenta pas.
— Alouette 7, commença l’un d’eux, votre opération à Toulon est considérée comme compromise.
Les vidéos de ce matin sont déjà analysées, partagées, commentées.
Un autre ajouta :
— La bonne nouvelle, c’est que les réactions du grand public sont largement en votre faveur.
On parle de courage, de sang-froid, de compétences.
On vous prend pour un symbole.
— La mauvaise, intervint la femme en civil, c’est que tout individu un peu formé comprendra que vous n’êtes pas une simple secrétaire de dépôt.
Votre visage circule déjà partout.
Certains vont vouloir savoir qui vous êtes vraiment.
Claire resta droite, les mains jointes derrière le dos.
— Est-ce que ma mission de départ est totalement abandonnée ? demanda-t-elle.
J’étais près d’obtenir des informations importantes.
— Nous trouverons une autre méthode, répondit calmement l’officier le plus haut gradé.
Vous avez fait ce que vous deviez faire ce matin.
Nous ne vous reprochons rien.
Il marqua un temps.
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