Avec l’aide des assistantes sociales, des associations locales, et des mêmes réseaux qui s’étaient enflammés pour la traversée dans la neige, Anaïs a trouvé un petit studio. Une association lui a offert un lit, une table, un berceau. Un commerçant du quartier a promis quelques heures de travail dès qu’elle serait prête.
Marcel, lui, venait chaque jour. Il apportait des couches, des biberons, parfois simplement sa présence.
Il est devenu, naturellement, « Papy Marcel ».
Six mois plus tard, Léa a eu besoin d’une nouvelle intervention pour consolider ce petit cœur rafistolé. Cette fois, l’opération avait été planifiée.
Le jour de son entrée à l’hôpital, plus de cent motos se sont garées sur le parking, du scooter au vieux side-car brinquebalant, en passant par des machines brillantes comme des miroirs. Sur chacune, un ours en peluche, pendu par une patte ou attaché sur le siège passager.
Les enfants hospitalisés sont descendus aux fenêtres pour les voir. Les infirmières riaient en essayant de faire respecter un semblant de calme.
Marcel a pris Léa dans ses bras après le bloc, plus rose, plus potelée, fascinée par sa barbe mal taillée. Elle attrapait ses poils blancs entre ses doigts et éclatait de rire.
— Tu sais ce que tu m’as appris, toi ? lui a-t-il murmuré. Qu’il n’est jamais trop tard pour faire quelque chose de bien. Qu’on peut rattraper un peu d’un passé qu’on croyait figé. Et qu’un cœur abîmé peut battre très fort, quand il décide de rester.
Anaïs était là aussi, un dossier sous le bras.
— J’ai réussi ma première année d’école d’aide-soignante, a-t-elle annoncé, un peu gênée. J’aimerais travailler avec des enfants malades. Pour essayer de… tu vois.
Marcel a souri.
— Je vois très bien.
Aujourd’hui, Léa a trois ans. Son cœur garde une cicatrice invisible, mais elle court partout, grimpe sur tout, et rit plus fort que n’importe qui.
Elle appelle Marcel « Papy », et chaque année, au début de l’hiver, ils remontent ensemble sur la moto pour une balade très particulière : la « Virée de Léa ».
Ce jour-là, des centaines de motards se retrouvent sur un grand parking balayé par le vent. Ils accrochent des peluches derrière eux, enfilent des gilets fluo avec un petit cœur dessiné et la mention « On roule pour eux ».
Ils traversent villages et villes, klaxonnent devant les hôpitaux, s’arrêtent pour déposer des jouets et des enveloppes dans les services de pédiatrie. Les habitants sortent sur les trottoirs, agitent les mains, prennent des photos.
Grâce au Fonds Léa, des dizaines d’enfants ont déjà pu être opérés sans que leurs parents se demandent comment ils paieraient.
Parfois, une photo arrive dans la boîte aux lettres de Marcel : un bébé avec une cicatrice sur le thorax, une petite fille qui souffle ses bougies en tenant la main d’un chirurgien, un adolescent qui brandit son maillot de sport.
Marcel accroche chaque photo sur le mur de sa cuisine.
— Regarde, Léa, dit-il souvent quand elle vient le voir. Ça, c’est les copains de ton cœur. Vous êtes tous un peu de la même famille, maintenant.
Et quand on lui demande pourquoi il a pris la route ce soir-là, alors que tout le monde lui disait de rester au chaud, il hausse les épaules.
— J’étais vieux, j’avais mal partout, je savais que je ne pourrais pas faire ce genre de folie encore longtemps. Alors j’ai choisi la bonne, répond-il.
Il pose la main sur sa poitrine, là où, cette nuit-là, il a senti un cœur trop petit battre contre le sien.
— C’est elle qui m’a porté autant que je l’ai portée, au fond. Moi, je lui ai prêté ma parka. Elle, elle m’a prêté une raison de continuer.






