— Je m’appelle Sarah, dit-elle. Quand Marc m’a parlé de toi, j’ai pensé à ma propre mère. On s’est dit qu’on voulait te rencontrer. Et t’aider à faire de « Chez Maman Aïcha » un endroit que personne n’oubliera.
À ce moment-là, le vrombissement lointain d’un moteur de camion se fit entendre. Deux vans se garèrent à l’entrée de l’impasse. Des hommes en descendirent avec des caisses à outils, des rouleaux de câbles, des tuyaux.
— On n’est pas venus les mains vides, ajouta Tony en souriant. Là-bas, tu as un plombier, un électricien, un maçon, un menuisier… Tous de la famille, ou presque. On va te retaper cette maison de fond en comble.
Les voisins, massés devant leurs portails, regardaient la scène avec des yeux ronds. Madame Dubois semblait prête à s’évanouir.
Aïcha sentit les larmes lui monter aux yeux.
— Pourquoi… pourquoi autant ? demanda-t-elle dans un souffle. Je ne comprends pas.
Marc la regarda droit dans les yeux.
— Parce que tu as fait ce que presque personne ne fait, répondit-il. Et parce que parfois, quand quelqu’un te sauve la vie, tu as une chance de sauver la sienne en retour.
Il se tourna vers la rue et leva la main.
— Bon ! cria-t-il. On se met au boulot ?
Comme par magie, l’impasse des Acacias se transforma en chantier géant.
Certains motards commencèrent à décharger des planches, des sacs de ciment, des pots de peinture. D’autres montèrent des tréteaux pour couper des planches, tirèrent des rallonges, installèrent des projecteurs. L’électricien partit voir le vieux tableau dans l’entrée. Le plombier se pencha sur la chaudière en panne.
Sarah sortit un bloc-notes de sa poche.
— Alors, Aïcha, dit-elle, on va penser à ton restaurant. Une vraie cuisine professionnelle, un coin salle à manger, peut-être une petite terrasse pour l’été. Ça te va ?
— Je… oui, balbutia Aïcha. Mais… et l’argent ?
— On a ce qu’il faut, dit Sarah avec un clin d’œil. Le reste… la vie se chargera de nous le rendre. Ça fonctionne comme ça, tu ne crois pas ?
Rosa était arrivée, attirée par le vacarme. Elle se tenait en retrait, un sac de courses encore au bras, la bouche entrouverte devant le spectacle.
— Sainte Marie… murmura-t-elle. On dirait un film.
Yanis se précipita vers Tony, les bras tendus.
— Moto ! cria-t-il. Tu me montes, hein ? S’il te plaît ?
Tony éclata de rire et le souleva.
— Pas encore, mon champion, répondit-il. Il faut que ta maman soit d’accord. Et que tu aies des chaussures dignes de ce nom.
Toute la journée, l’impasse vibra du bruit des marteaux, des scies, des éclats de voix, des rires.
Au début, les voisins se contentèrent de regarder de loin. Puis, peu à peu, certains s’approchèrent. Un couple proposa du café. Une famille apporta des thermos de chocolat chaud. Des enfants tournèrent autour des motos, posant mille questions auxquelles les motards répondaient avec une patience inattendue.
Les caméras des chaînes locales arrivèrent à leur tour. Les journalistes se frayèrent un chemin, micro tendu.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? demandèrent-ils.
Marc haussa les épaules.
— Une simple histoire de porte ouverte en pleine tempête, répondit-il. Et de gens qui refusent d’oublier.
En milieu d’après-midi, l’intérieur de la maison ne ressemblait déjà plus à ce qu’il avait été.
Les cloisons du salon avaient été reculées, la cuisine agrandie, les vieux meubles remplacés par des plans de travail en inox. Une grande hotte attendait d’être installée au-dessus d’un piano de cuisson professionnel flambant neuf, offert par un restaurateur ami d’un des motards.
Dany, la jambe encore un peu raide mais guérie, transportait des pots de peinture.
Autour de son cou brillait un petit pendentif en argent, qu’Aïcha n’avait encore jamais remarqué. Il avait l’air ancien, délicatement gravé.
— C’est très beau, ça, dit-elle en le voyant passer.
Dany porta automatiquement la main à son cou, comme s’il protégeait le bijou.
— Ça appartenait à ma mère, répondit-il doucement. Je l’ai perdu il y a longtemps… puis je l’ai retrouvé grâce à une famille qui m’a recueilli, quand j’étais petit. C’est tout ce qui me reste d’elle. Je ne l’ai jamais revue.
Avant qu’Aïcha ne puisse répondre, un bruit sec se fit entendre derrière eux. Comme un hoquet étouffé.
Rosa venait d’entrer dans le salon.
Elle fixait le pendentif, livide.
— Non… murmura-t-elle. Ce n’est pas possible.
Dany se tourna vers elle, surpris.
— Madame ? Ça va ?
Rosa s’approcha, chaque pas semblant lui coûter un effort immense. Ses yeux ne quittaient pas le pendentif. Ses mains tremblaient.
— Tourne-le… dit-elle à voix basse. S’il te plaît. Il y a quelque chose gravé derrière.
Dany obéit, intrigué. Il retourna doucement le pendentif. Au dos, deux mots, gravés en lettres cursives, apparurent.
L’amour ne meurt pas.
Il releva les yeux vers Rosa, abasourdi.
— Comment vous… ?
La vieille femme porta une main à sa bouche.
— J’ai offert ce pendentif à mon fils pour ses sept ans, dit-elle, sa voix se brisant. Le soir, il y a eu un incendie, dans notre immeuble. On a été séparés dans l’escalier. On m’a dit… on m’a dit qu’on ne l’avait pas retrouvé. Qu’il n’y avait rien à enterrer. Mais j’ai cherché. Trente ans. Partout.
Elle avança encore, lentement.
— Tu avais un petit grain de naissance, là, derrière l’oreille gauche, ajouta-t-elle d’une voix presque inaudible. En forme de lune. Je l’embrassais tous les soirs.
Dany porta la main derrière son oreille, machinalement. Ses doigts trouvèrent la petite tache de peau, toujours là.
Le temps sembla se suspendre.
— Maman ? souffla-t-il.
Le mot sortit tout seul, comme s’il avait attendu trois décennies dans sa gorge.
Les jambes de Rosa fléchirent. Dany lâcha le pendentif et la rattrapa. Ils se serrèrent dans les bras l’un de l’autre comme deux naufragés qui viennent de voir la terre.
— Mon garçon… sanglota Rosa. Mon petit… je t’ai cherché, tu sais. Tous les jours. Tous les ans. Partout où l’on m’a dit que des enfants avaient été recueillis, adoptés… Je n’ai jamais arrêté.
— On m’a dit que tu étais morte dans l’incendie, répondit Dany en pleurant. Les gens qui m’ont recueilli m’ont laissé garder le pendentif. Ils m’ont dit que c’était tout ce qu’on avait retrouvé. J’ai cru que… que j’étais vraiment seul.
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