Viré pour une simple ampoule arrière, ce policier découvre qui, à Noël, se tient vraiment derrière lui

On m’a mis à la porte de la police parce que, la nuit de Noël, j’ai préféré aider un père à rentrer chez lui plutôt que de lui coller une amende et de lui confisquer sa vieille camionnette.

Vingt-trois ans de service sans la moindre tache, balayés à cause d’une ampoule de feu arrière à trois euros.

Je m’appelle Laurent Delorme.
J’étais brigadier-chef dans une petite ville de l’est de la France, Saint-Romain-sur-Saône. Rien d’extraordinaire : une ville moyenne, un commissariat fatigué, des tournées de nuit qui se ressemblent toutes.

Le 24 décembre, il était presque 23 heures. La plupart des gens étaient à table, les fenêtres éclairées, les guirlandes clignotaient partout. Dans la radio de bord, on entendait les rappels des consignes :

« Tolérance zéro pour le groupe des Anciens du Feu. Pas de cadeau, pas d’exception. »

Les Anciens du Feu, c’était une bande d’anciens pompiers, de secouristes, de gars des chantiers.
Ils avaient une association, des blousons en cuir avec un gros écusson brodé dans le dos, des vieilles motos bruyantes et cabossées.

Ils faisaient des collectes pour les sinistrés, mais ils buvaient fort, parlaient fort, et certains avaient un casier.
Pour la hiérarchie, c’était parfait : visibles, faciles à contrôler, bons pour les statistiques.

Je roulais sur la départementale quand j’ai vu la camionnette rouge fatiguée, un vieux fourgon d’artisan, avec un feu arrière complètement éteint.
Je soupirai, mis le gyrophare, et je l’ai arrêtée.

Le conducteur a baissé sa vitre. Quarante ans à peine, barbe de trois jours, cernes violacés. Sur son blouson en cuir, l’écusson des Anciens du Feu.
Sur le pare-soleil, une petite médaille de Saint-Florian, patron des pompiers.

« Bonsoir, contrôle routier, papiers du véhicule s’il vous plaît. »

Ses mains tremblaient un peu quand il a attrapé ses papiers.

— Je m’appelle Julien Morel, monsieur l’agent… Je sais pour le feu arrière. Je suis sorti du boulot, je… je n’ai pas eu le temps de passer au garage.

Sa voix était pressée, fébrile, presque cassée.

Dans la cabine, il y avait une vieille boîte à repas en plastique, un thermos cabossé…
Et, scotché sur le tableau de bord, un dessin d’enfant : un bonhomme en uniforme avec un casque de pompier, une camionnette rouge, et en-dessous, en lettres maladroites :

« PAPA MON HÉROS »

Ça m’a frappé en plein cœur.
Ma fille, quand elle était petite, faisait les mêmes dessins.
Sauf que désormais, elle était à la fac, et ça faisait des semaines qu’on se croisait à peine.

— Où allez-vous, monsieur Morel ? ai-je demandé.

— À l’hôpital de la ville, service pédiatrique… Ma fille est là-bas. Les infirmières m’ont prévenu qu’elle ne tiendrait peut-être pas jusqu’à demain. Je dois arriver avant minuit, je lui ai promis.

Dans l’oreillette, la voix du PC résonnait encore dans ma tête :

« Les Anciens du Feu, on ne lâche rien. Le commissaire a été clair. Procédure stricte. »

La procédure était simple : feu arrière éteint, véhicule potentiellement dangereux, immobilisation possible.
Je pouvais faire remorquer sa camionnette, lui mettre une amende salée, rentrer au chaud et regarder la messe de minuit à la télé.

À la place, j’ai regardé ce dessin accroché au tableau de bord.

J’ai revu ma fille qui m’attendait un soir de Noël, quand j’avais encore un uniforme tout neuf et des illusions.
Et j’ai senti quelque chose se coincer dans ma gorge.

— Ouvrez l’arrière, s’il vous plaît, ai-je dit.

Il a blêmi.

— Je… Il n’y a rien de spécial, juste des outils…

— Ce n’est pas une perquisition, Julien. Je veux voir si on peut accéder plus facilement au feu.

Il a obéi, lentement, comme s’il marchait au peloton d’exécution.

J’ai ouvert mon coffre de service, sorti ma petite boîte de pièces de rechange – des ampoules que j’achetais souvent moi-même pour éviter de perdre du temps au dépôt.

En cinq minutes, j’avais démonté le feu arrière et changé l’ampoule.

Julien me regardait, figé.

— Voilà, ai-je dit en refermant le coffre. Vous êtes en règle. Filez à l’hôpital. Et conduisez prudemment, d’accord ?

Il n’a rien dit tout de suite. Ses yeux brillaient.

— Comment je peux vous remercier ?

— Vous ne pouvez pas. C’est Noël. C’est tout.

Il est monté, a démarré, et s’est éloigné, le feu arrière rouge vif dans la nuit noire.

Je savais que si quelqu’un voyait ça, j’aurais des ennuis.
Je n’imaginais pas à quel point.

Trois jours plus tard, on m’a demandé de monter au bureau du commissaire.

Le commissaire Renaud n’était pas un homme qu’on voyait souvent sourire.
Ce jour-là, il ne faisait pas exception.

— Asseyez-vous, Delorme.

Il a jeté sur le bureau une impression couleur.
Une image tirée d’une caméra municipale, à l’autre bout de la rue où j’avais arrêté Julien.

On me voyait nettement en train de bricoler le feu arrière de la camionnette.

— Vous m’expliquez ça ?

— Monsieur le commissaire, c’était la nuit du 24, un conducteur en détresse, sa fille à l’hôpital… J’avais une ampoule dans ma boîte perso, je l’ai…

— Cet homme appartient aux Anciens du Feu. Vous connaissez les consignes. Aucune tolérance. Aucune proximité.

— C’est un ancien pompier qui rentrait voir son enfant malade, pas un trafiquant d’armes…

— Ce n’est pas à vous de décider de qui est quoi. Vous avez fourni du matériel du véhicule de service à un individu fiché pour troubles à l’ordre public.

’est assimilable à un détournement de matériel municipal et à un soutien à un groupe à risque.

— Une ampoule à trois euros ?

— Ce n’est pas la valeur qui compte. C’est la désobéissance. Vous avez rompu la confiance.

On m’a suspendu « à titre conservatoire » le jour même.

L’« enquête interne » a été une formalité. On ne m’a pratiquement pas posé de questions.

Vingt-trois ans à courir la nuit, à calmer des bagarres, à récupérer des gamins perdus, à tenir des mains dans des chambres d’hôpital, tout ça résumé dans deux phrases administratives.

Le 15 janvier, j’ai reçu la lettre en recommandé.

« Licenciement pour faute grave : détournement de matériel municipal et comportement incompatible avec les devoirs de la fonction, notamment fourniture de soutien matériel à un groupe identifié comme à risque. »

À cinquante-et-un ans, avec un prêt immobilier et deux enfants encore aux études, je me retrouvais fiché, grillé auprès de tous les services de police de la région.
Mon nom circulait déjà : « Delorme, le flic trop proche des voyous. »

Et tout ça, pour avoir voulu qu’un père tienne sa promesse à sa fille.

Deux semaines plus tard, j’étais au comptoir du « Relais du Pont », un bar de quartier où les anciens du commissariat venaient noyer leurs regrets.
Moi, je noyais surtout ma peur : peur de ne plus retrouver de travail, peur d’annoncer à ma femme que la maison risquait de partir à la banque.

J’en étais à mon troisième verre de whisky quand la porte s’est ouverte en grinçant.

Le silence est tombé d’un coup.

Dans l’encadrement, j’ai vu des blousons en cuir. Une bonne vingtaine.
Le logo des Anciens du Feu remplissait presque l’entrée.

Devant, il y avait Julien Morel.

Mon réflexe a été idiot : ma main a cherché mon arme…
Que je n’avais plus. J’étais venu à pied, sans uniforme, sans rien.

Julien a levé les mains en signe d’apaisement.

— Tranquille, Laurent. On ne vient pas chercher des histoires.

— Je n’ai pas besoin de votre aide, ai-je grogné.

— Vraiment ? a-t-il répondu en montrant mon verre à moitié vide. L’air de quelqu’un qui n’a besoin de rien, quoi.

Il s’est assis sans y être invité. Les autres sont restés en retrait, dans un silence étrange, presque respectueux.

Il a sorti une tablette de son sac et l’a posée devant moi.

Sur l’écran, un article d’un site d’actus local :

« Un policier licencié pour avoir aidé un père à Noël »

Il y avait ma photo, prise à la va-vite devant le commissariat, le jour de mon recrutement.
Et quelques centaines de commentaires en dessous.

— Ce n’est pas nous qui avons fait sortir l’histoire, a dit Julien. Mais elle circule partout. Le problème, c’est que le commissaire raconte que tu étais “acheté” par notre bande.

— Je n’ai jamais pris un centime de qui que ce soit, ai-je répondu sèchement.

— On le sait. C’est pour ça qu’on est là.

Il a fait signe à un des types derrière lui, qui a posé sur la table une pile de dossiers en carton.

— Tu veux savoir combien de membres des Anciens du Feu tu as arrêté en vingt-trois ans ?

— J’en sais rien. Une bonne quarantaine ?

— Quarante-deux, exactement. On a vérifié.

Il a ouvert le premier dossier.

— Tu te souviens de Malik, en 2010 ? Ivresse sur la voie publique, altercation avec des voisins.

J’ai cherché dans ma mémoire. Un visage flou, une jeune femme qui pleurait, un bébé dans un transat.

— Tu l’as embarqué, évidemment, a poursuivi Julien. Mais tu as aussi passé un coup de fil à sa sœur pour qu’elle vienne garder le petit. Tu aurais pu laisser le bébé là. Tu ne l’as pas fait.

Il a sorti une lettre, écrite à la main.

— Ça, c’est Malik qui l’a écrite. Pour toi.

Un autre dossier, une autre histoire.

Une fois, j’avais escorté une vieille dame alcoolisée jusqu’à chez elle au lieu de la laisser passer la nuit en cellule.
Une autre fois, j’avais acheté un manteau à un SDF en plein mois de janvier, plutôt que de lui coller une amende pour station assis sur un banc « interdit ».

— On a demandé à tous ceux qui ont croisé ta route de raconter, a dit Julien. Pas seulement chez nous. Dans tout le quartier. On a passé des soirées à noter, scanner, classer.

Je le regardais, abasourdi.

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